xpert en modélisation des pressions cryptogamiques, Marc Raynal en est persuadé : l’idée préconçue d’une résistance vigneronne au changement est infondée pour la réduction des produits phytosanitaires. S’appuyant sur les modélisations économiques* de son collègue Alexandre Davy à l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV), l’ingénieur souligne que la protection phytosanitaire ne représente que 4 % du coût de production d’une bouteille (6 centimes de phytos pour 2,88 € la bouteille) : en appliquant le cap politique d’une « réduction de 50 % des traitements, on économise 0,03 € par bouteille et on risque de perdre plus ou moins 50 % de [son rendement]. Les fongicides sont l’assurance la moins chère ! » s’exclame-t-il lors d’une conférence sur le salon Vinitech, ce 30 novembre, présentant le programme développé au sein du plan régional Vitirev.
« Pour répondre aux impératifs environnementaux, il faut accompagner le viticulteur » résume Marc Raynal, soulignant que pour dépasser les blocages, il faut que la prise de risque pour la réduction des traitements soit couverte par l’assureur dès qu’il y a une perte de récolte liée au mildiou, à l’oïdium et au black-rot. Soit une offre assurantielle pour les maladies cryptogamiques complétant les contrats actuels pour le gel et les orages de grêle. Mais le contrat de cette assurance maladie cryptogamique s’appuierait sur le suivi d’un programme de traitement assurable afin de raisonner la réduction des traitements (via des modélisations de météorologie et de pression sanitaire). « L’objectif, c’est de supprimer les traitements qui se révèlent être inutiles a posteriori » note Marc Raynal, expliquant des règles de décision retardant le premier traitement au maximum (en attendant les premiers symptômes s’il y a une faible pression, en préventif si la pression est forte).
Démarré en 2019 pour s’achever en 2028, le dispositif expérimental repose sur 120 hectares de merlot et cabernet sauvignon au sein des caves coopératives de Buzet (1 000 ha en Lot-et-Garonne) et Tutiac (4 000 ha en Gironde). Les premiers résultats 2019-2022 semblent prometteurs, avec une : réduction de 52 % des Indices de Fréquence de Traitement (IFT) pour le mildiou et l’oïdium sur les parcelles de Tutiac (vignes suivies en conventionnel) et -36 % d’IFT pour les vignes de Buzet (conduit en bio). Cependant, les outils ne présentent pas une efficacité parfaite. Des parcelles de Buzet ont perdu jusqu’à 80 % de leurs récoltes sur 20 hectares. Pas de quoi remettre en cause le modèle, des erreurs résiduelles expliquant cette contre-performance, ainsi que des zones plus sensibles et la présence de rangs de témoins non traités indique Marc Raynal : « l’équilibre technique est fragile. Des ajustements sont nécessaires sur les parcelles sensibles nécessitant des traitements ajustés. »
Et ce revers confirme l’intérêt d’une assurance pour sécuriser les risques ajoute l’ingénieur IFV. Reposant actuellement sur une offre développée avec Groupama (100 €/ha avec une franchise de 5 %), le dispositif présente actuellement une difficulté pour la modélisation des pertes de récolte : une piste serait de développer un indice dépendant de la météo et de l’épidémiosurveillance). Pour inciter au suivi des modèles de traitement, l’indemnisation par l’assurance pourrait être de 40 % des dégâts pour les assurés avec 50 % de bonus s’ils suivent le protocole de traitement. Ces deux pistes d’évolution sont au cœur d’un sondage des vignerons qui est prévu pour le début 2022. « Nous voulons tester l’intérêt et l’acceptabilité du système pour des viticulteur en dehors de la Nouvelle Aquitaine : si le produit était disponible sur le marché, quelle serait leur réaction ? » explique Marianne Lefebvre, maîtresse de conférences en économie à l’université d’Angers.
* : Calculs réalisés en 2018 pour une exploitation de 20 hectares en appellation Bordeaux.