L'intérêt pour l'Inde en tant que marché d'exportation n'a jamais été aussi fort », confirme Sonal Holland, premier et encore unique Master of Wine en Inde. Auteure d’une étude sur le marché indien du vin, elle porte de multiples casquettes, dont celle de formatrice (Sonal Holland Academy), consultante et détaillante (Vine2Wine) avec trois magasins dans différents métropoles du pays. « L'annonce récente de l'accord de libre-échange entre l'Inde et l'Australie a provoqué une multiplication, non seulement du nombre d'entreprises australiennes cherchant à pénétrer le marché indien, mais aussi de nombreux autres pays qui considèrent l'Inde désormais comme un marché très prometteur pour les vins, notamment avec la déception généralisée vis-à-vis du marché chinois ».
En se basant uniquement sur les chiffres, on pourrait se demander pour quelle raison l’Inde n’a pas suscité un plus grand intérêt avant : le vin progresse au rythme de 15-16% chaque année depuis des années, taux qui atteint même 25 à 30% pour les producteurs locaux. Certes, le vin ne représente pour l’heure qu’un à deux pourcent d’un marché dominé par les spiritueux, mais l’évolution démographique est impressionnante : « L'Inde est un pays très jeune. Au cours des cinq prochaines années, 100 millions de personnes supplémentaires auront l'âge légal pour consommer de l'alcool ». Cette perspective revêt une importance majeure lorsqu’on sait que les jeunes, notamment les fameux Millennials et beaucoup de femmes, affichent une soif de découverte et une curiosité d’en apprendre plus sur le vin, boisson qui figure en bonne place dans leur répertoire de consommation.
Là où l’Inde pêche, c’est par son système de taxation punitif et sa réglementation, que la Master of Wine qualifie « d’aléatoire, changeante et trop basée sur le court terme ». Et de rappeler que le vin est géré au niveau de chaque Etat, « comme aux Etats-Unis », et non par les instances nationales. Cette complexité a déjà fait fuir plus d’un exportateur : « Beaucoup de producteurs français, par exemple, ont tenté de pénétrer le marché indien il y a cinq ou dix ans, et après avoir eu une expérience négative, ils se sont retirés. Ils gardent certaines idées préconçues de l'Inde, mais beaucoup de choses ont changé ces dernières années et je les encourage à envisager le pays avec un regard neuf et à prendre un nouveau départ. L'Inde change tous les jours, c'est un marché très dynamique, la réglementation évolue et le marché devient de plus en plus mature ».
Ce n’est pas un vœu pieu qu’exprime la consultante, et le Covid a sans doute joué un rôle moteur dans ces évolutions. « Pendant la pandémie, le gouvernement a autorisé, avec certaines limites, la commercialisation des vins en ligne. Pour donner aux professionnels et aux consommateurs une certaine marge de manœuvre pendant cette période, il a également autorisé la livraison d'alcool à domicile. Ces mesures ont été révoquées par la suite, mais des rumeurs selon lesquelles le gouvernement se serait rendu compte qu'il s'agissait d'une réelle avancée ont récemment fait grand bruit ».
En début d’année, l’Etat de Maharashtra a autorisé de son côté la commercialisation de vins en supermarché, ce qui augure d’une plus grande présence des vins dans le commerce. « Les ventes de vins se sont beaucoup démocratisées », note Sonal Holland, qui rappelle que Maharashtra et Karnataka sont les deux principaux Etats producteurs de vins en Inde et qu’ils sont à l’avant-garde en matière de réglementation et d’évolution du système. « Le gouvernement veut soutenir la filière nationale et protéger ses intérêts, mais dans le même temps il a créé des conditions de concurrence équitables pour les entreprises internationales qui cherchent à investir de manière importante en Inde et à se focaliser sur ce pays ».
Après avoir été mises en pause pendant neuf ans, les négociations visant l’instaurant d’un accord de libre-échange entre l’Union Européenne et l’Inde ont repris, une avancée saluée par la Master of Wine : « L'Australie a réussi à prendre les devants, mais j'espère que l'UE s'en sortira cette fois-ci. De nombreux consommateurs en Inde bénéficieraient directement de cette mesure ». Prônant une offre « accessible, agréable et abordable pour le consommateur moyen », la consultante conseille ainsi aux exportateurs de viser « une distribution nationale car être présent dans un ou deux Etats n’a aucun intérêt », mais aussi de s’engager sur le long terme. « Pour pénétrer le marché indien, il ne s’agit pas seulement de vendre du vin mais de nouer un dialogue avec tous les acteurs locaux. Le marché n’a pas besoin d’opérateurs qui cherchent simplement à placer une commande car aucun importateur ne s’intéressera au développement de leur marque ».
Autres conseils : « Pour progresser, il faut proposer des vins à tous les positionnements prix, apporter un soutien marketing important, favoriser une distribution la plus large et éduquer les consommateurs par le biais de masterclasses, d'événements et de communication dans les médias et sur les réseaux sociaux, par exemple ». Et de noter que, « une fois qu’elles ont surmonté les aspects intimidants du marché, plusieurs marques internationales se sont rendu compte que l’Inde était un eldorado, qu’elle renfermait tellement d'opportunités ».


Enfin, tout en saluant le travail de fond réalisé par les Italiens – des marques comme Antinori en tête – Sonal Holland encourage les exportateurs français à « sortir des sentiers battus et à cibler ces marchés émergents. La France doit reprendre une certaine domination, car la disponibilité des vins français en Inde laisse à désirer. De grandes régions classiques comme la Loire et l’Alsace sont absentes. Les régions françaises doivent fournir un effort concerté pour faire connaître leurs vins, éduquer le consommateur et dialoguer avec les professionnels et les consommateurs. Elles en ont les moyens, c’est l’état d’esprit qu’il faut mobiliser ». A bon entendeur.