Laurent Brault : Dans les années 2000, c’était le temps de l’hygiène, avec HACCP, on l’a oublié. Dans les années 2010, la tendance était à la formalisation avec la certification avec le développement de la bio et de HVE, qui ont leurs avantages et leurs limites. Ce sont des dispositifs publics pilotés par l’administration à qui l’on confie les règles de production. Pour la réforme de la HVE, la problématique est la manière de faire : on publie le 22 novembre 2022 des règles pour 2023 (interdiction des CMR1, s’il n’y a pas de CMR2 on gagne des points, nouveaux barèmes sur de nombreux items…). C’est une somme de petites modifications qui bougent les lignes. Ce qui devait être une adaptation tactique devient un bouleversement stratégique, comme l’écrit Jean-Jacques Jarjanette, le président de l’Association de Développement de la HVE [voir encadré pour sa lettre au ministre de l’Agriculture, Mac Fesneau].
Cette façon de faire n’est pas incitatrice. Elle casse la confiance. Des Organismes de Défense et de Gestion (ODG) de vins d’Appellation d’Origine Protégée (AOP) et à Indication Géographique Protégée (IGP) étaient incités à introduire des obligations de certification dans leurs cahiers des charges par l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO). Ils font machine arrière aujourd’hui. In ne peut pas conditionner l’obtention d’un label AOP ou IGP à un dispositif instable dont le cahier des charges évolue sans que l’on en connaisse les règles avant. Qui dit qu’il n’y aura pas une deuxième phase* de bouleversement ? Les vignerons les plus investis dans HVE se sentent les plus trahis. Et il y a une déstabilisation de tout l’écosystème
Quel sera le nouveau cycle viticole des années 2020 pour vous ?
Nous continuerons à défendre la HVE et à développer la certification bio sur notre réseau (7 000 adhérents, 34 % certifiés en bio, 30 % en HVE et 6 % doublement certifiés). Mais depuis plusieurs années, au moins 2015, nous entendons une petite musique sur la difficulté à faire les rendements, même quand il y a une fenêtre de tir sans aléas climatiques (gel, grêle, mildiou, sécheresse, excès d’eau…). Nous travaillons depuis avec des intervenants pour comprendre les raisons de ces petits rendements : l’agronome Konrad Schreiber, le biologiste Marc-André Selosse… Il apparaît qu’il faut revoir les pratiques passées, qui ne sont plus adaptées au climat actuel.
On ne remet pas en cause les pratiques d’hier, qui ont fait le succès de la viticulture d’aujourd’hui. Mais maintenant, on est dans un changement notamment climatique. Il faut par exemple de nouvelles performances hydriques des sols [en renforçant la matière organique] : avant on comptait sur la pluie, maintenant il faut capter toutes les sources d’eau comme la rosée. C’est ça l’agroécologie. Ce sera le thème des rencontres nationales des Vignerons Indépendants, les 28 et 29 mars 2023 à Amboise
L’agroécologie peut sembler être un concept difficile à cerner, à définir…
Il peut être compliqué de définir ce qu’est l’agroécologie pour ceux qui n’y adhérent pas. Si l’on résume, l’agroécologie consiste à favoriser les processus agronomiques et de s’appuyer dessus pour les implanter dans les parcelles. C’est tout le contraire du laisser-faire. L’idée est celle d’une viticulture de collaboration et pas de lutte. Il faut revenir à un système où l’on nourrit le sol. On peut parler de sol vivant, c’est signifiant, mais c’est aussi devenu très marketing. L’enjeu est de revenir aux fondamentaux de l’agronomie. Marc-André Selosse dit que l’agroécologie, c’est chercher dans une boîte à outils le processus naturel adapté à son travail. On ne peut pas dire qu’une clé de 12 soit universelle !
Il n’y a pas de recette à suivre de A à Z, mais de grands principes qui constituent de petites briques. D’abord, il faut avoir connaissance de ses sols (s’ils sont réduits ou oxydés, compactés…). Nous voulons développer le bilan humique pour que les vignerons connaissent leur environnement et puissent prendre les décisions en connaissance de cause. C’est une erreur de vouloir faire comme son voisin : les situations sont forcément différentes.
Si vous dites qu’il n’y a pas de recettes en agroécologie, il semble qu’il y ait des dogmes. Comme certaines oppositions à tout travail du sol…
L’erreur en agroécologie est de systématiser. L’idée est que le travail systématique du sol n’est pas bon. En agroécologie, on dit qu’un sol nu est un sol foutu. Mais quand on travaille trop son sol, le sol nu peut être encore plus foutu. Mais sur un sol plutôt réduit qui ne respire pas, un travail du sol permet de l’oxygéner. Il faut avoir une boîte à outils et s’adapter sans dogme. L’agroécologie est au service du rendement.
Attention aux certitudes. Comme celle de l’enherbement naturel. Je préfère parler d’enherbement spontané : c’est une bonne solution après 10 à 15 ans de pratiques agroécologiques. Si l’on laisse se développer le couvert végétal, il y a toutes les chances pour qu’il y ait de fortes concurrences (hydriques, nutritives…). Un couvert végétal se pilote : un semis permet d’orienter la complémentarité entre l’enherbement et la vigne.
* : Pour apaiser les esprits échaudés par l'absence des renégociations promises, le ministère de l’Agriculture indique dans un communiqué que « comme annoncé au lancement des travaux, une deuxième étape de révision sera menée pour continuer d’accompagner les efforts des agriculteurs dans la transition écologique et consolider la plus-value environnementale de HVE, en lien avec les résultats de l’étude » sur la performance environnementale de la certification.
« La rénovation brutale de la démarche [HVE] fait peser une menace vitale pour la pérennité même de la certification » alerte Jean-Jacques Jarjannette dans une lettre envoyée ce 22 novembre au ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. Le président de l’association de développement de la HVE regrette que « les décisions prises se voulaient seulement tactiques, mais par leur ampleur, elles vont avoir un impact stratégique ».
La réforme HVE a notamment été menée au pas de charge pour rentrer dans le calendrier de la Politique Agricole Commune (PAC), afin que la certification française devienne éligible aux écorégimes : des aides qui ne concernent pas les certifiés actuels (vignoble, maraîchage, arboriculture…), tandis que d’autres filières (comme les céréaliers) ont des accès de contournement aux écorégimes (par des pratiques vertueuses).
« Le pas de course imposé à la rénovation de la HVE est lié au calendrier de la nouvelle PAC. Or l’écrasante majorité des exploitations engagées dans la HVE n’est pas concernée par la PAC » pointe Jean-Jacques Jarjannette, qui alerte sur « la démobilisation de nombreux Organismes de Gestion de Système d’Identification de la Qualité et de l’Origine (SIQO). La HVE permettait aux SIQO de répondre de manière homogène à la demande de l’INAO d’intégrer d’ici 2030 des dispositions environnementales à leurs cahiers des charges. Cette dynamique majeure est aujourd’hui totalement compromise : les ODG ne peuvent prendre le risque de conditionner l’obtention d’un Signe de Qualité et d’Origine à un cahier des charges HVE, qui se présent comme instable et dont le calendrier proposé ne permet pas un déploiement serein. »