omme les promesses, les contrats n’engagent-ils que ceux qui y croient ? En cours d'instruction auprès du Tribunal Administratif de Strasbourg, le contentieux opposant l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) à la société BAC (basée à Obernai, Bas-Rhin) repose sur un revirement d’avril 2021 : l’établissement public considère que le statut d’agents commerciaux de la société alsacienne les rend inéligibles aux mesures européennes d’aides à la promotion des vins français sur les pays tiers. Ce qui aboutit à une demande de remboursement majorée de 355 833,89 euros pour les aides touchées suite à plus d'une centaine d’évènements réalisés en 2015 et 2016 sur cinq pays africains (Algérie, Angola, Kenya, Nigeria et Tanzanie), essentiellement pour les Grands Chais de France (client historique de BAC), mais aussi des marques de champagnes (comme Taittinger) et d'autrs vignobles (du Rhône, de Bourgogne...).
« On avait signé un contrat, on était d’accord : cinq ans après, on nous dit que l’on n’est plus éligible. C’est hallucinant » soupire Béatrice Voegel, cogérante de la société BAC, qui se souvient d’une forte pression administrative sur ces aides : « tous les 6 mois on était sollicités pour envoyer des pièces complémentaires déjà fournies. C’était sans fin, on était asphyxiés sous les demandes. On a toujours joué le jeu, en se replongeant dans le dossier. Ça devenait ridicule, ubuesque. » Car avant que ce dossier ne se focalise sur leur statut d’agents commerciaux, les échanges étaient déjà fournis entre FranceAgriMer et la société BAC au sujet des montants de paiements éligibles (un contentieux a même été ouvert devant le tribunal administratif de Montreuil, suspendu par la société BAC après une décision favorable de versement du solde de l'aide par FranceAgriMer en septembre 2020).


Désormais, la convention actée en 2014 est tout simplement caduque, les agents commerciaux étant inéligibles pour l’administration. « Votre société ne commercialisait pas de vin, mais assurait la fonction d’agent commercial en Afrique, principalement pour la société les Grands Chais de France » indique une lettre du 24 août 2022 FranceAgriMer consulté par Vitisphere. Se référant à l’article 3.2 de la décision du directeur général de FranceAgriMer du 4 juillet 2014 (qui indique qu’« une entreprise ne peut demander l’aide que pour sa (ses) propre(s) marque(s) »), l’établissement en déduit cet été qu’« une entreprise privée peut demander l’aide pour les produits qu’elle commercialise sous sa propre marque » ou « avoir la qualité de négociant (c’est-à-dire notamment être propriétaire des vins qu’elle vend) ».
Alors que le statut d’agent commercial exclusif était indiqué dans le dossier de candidature de BAC, « cette absence d’éligibilité n’avait pas été évoqué lors de la délivrance des avances liées à ces aides en 2015 et 2016 ni lors des contrôles ayant eu lieu sur l’année 2015 » indique maître Solène Penisson, qui défend la société BAC. L’avocate bordelaise estime que « ma cliente est victime d’un changement d’interprétation de la part de FranceAgriMer plusieurs années après avoir effectué en toute bonne foi les dépenses liées à l’aide, et avec l’expertise d’un prestataire pour monter son dossier. » Et de noter que l’interdiction claire des aides aux agents commerciaux ne date que d’une décision de la directrice généralé de FranceAgriMer du 27 juillet 2021 (article 3.1.2 « ne sont pas des demandeurs éligibles les entités agissant uniquement en qualité d’agent commercial »). Ce « cafouillage met en péril la survie de la société. S’il y a une saisie administrative, elle ne pourra pas faire face » ajoute maître Solène Penisson, qui considère que le revirement de FranceAgriMer contrevient au principe européen de la confiance légitime. « Ce principe permet de protéger tout opérateur économique de bonne foi auprès duquel une institution a fait naître des espérances fondées » explique l'avocate.
« C’est fou, c’est l’Etat français qui par son dysfonctionnement risque de nous mettre en faillite » rapporte Régis Voegel, le cogérant de l'époque et actuel actionnaire BAC**. Qui évoque une activité tout juste à la rentabilité en 2022, après avoir dû se réinventer en 2021. Dans la suite de la crise covid, l'agence a perdu de gros contrats, mais a signé de nouveaux opérateurs (en vins et spiritueux). « Nous avons un savoir-faire reconnu pour l’Afrique, y compris sur les marchés anglophones. Ça fait notre particularité » explique Régis Voegel, qui opère sur une cinquantaine de pays en Afrique et Océanie avec les 5 salariés de BAC. Face à des courriers annulant des aides, puis les rétablissant, la société BAC semble désemparée par le manque de continuité dans le suivi de son dossier. « Il n’y a aucune logique, on est perdus, broyés par la machine administrative » témoigne Régis Voegel.
Contacté, l’établissement FranceAgriMer ne commente pas un dossier en cours. En réponse aux questions sur l’inéligibilité des agents commerciaux, l’établissement invite à consulter les modalités du dispositif d’aide à la promotion pour les campagnes passées et actuelles.
* : Régis Voegel précise que le plan d’action prévu en 2017 n’a pas fait l’objet d’une demande d’avance, car BAC « a compris que les critères de contrôle fixés dans le cahier des charges étaient à géométrie variable. Ça fait peur. »
** : Régis Voegel dirige une société de négoce, Incodeal, basée à Bâle (en Suisse), et possède des parts dans une activité de distribution (à la Réunion).
Surinvestissant dans des évènements de promotion, la société BAC a organisé des évènements « dans des points de vente, des supermarchés, dans le CHR ou parfois lors d'évènements à thème. Il y a eu 2 voyages sur lieu de production en France, et 23 voyages dans les pays concernés effectués par 3 personnes. Par ailleurs des dépenses ont été faites en relations publiques, publicités et annonces dans les médias » détaille Régis Voegel.