onstat sans appel : « les projets d’irrigation sont indispensables : sinon c’est la mort du vignoble. Si l’on doit passer 5 ans comme ce millésime, les vignes ne tiendront pas » pose Pierre Gérus, le président de l’Association Syndicale Autorisée (ASA) d’Irrigation du Terroir des Trois Châteaux (IT3C) sur trois communes du Gard (Chusclan, Saint-Étienne-des-Sorts et Vénéjan). Après des années de réflexion, le projet d’installation d’un réseau d’irrigation de 17 km de conduits et de 29 bornes agricoles est en cours de finalisation pour permettre l’irrigation de 400 hectares de vignes appartenant à une cinquantaine de propriétaires (avec une limite de 800 mètres cubes par hectare). Financés par des fonds européens, la Région et le département, ces travaux de connexion au Rhône vont permettre aux viticulteurs de se brancher dès l’an prochain au réseau d’irrigation (ce qui coûte 2 500 à 3 000 €/ha pour du goutte-à-goutte, avec des aides de 800 € par FranceAgriMer).
Avec ce réseau d’irrigation, l’ASA IT3C doit renforcer la pérennité du vignoble, « c’est fondamental » pointe Pierre Gérus, notant l’importance de « stabiliser la production : l’irrigation ce n’est pas augmenter le rendement, c’est permettre la survie du vignoble. Avec l’irrigation raisonnée, on amène l’eau juste nécessaire quand il y en a besoin. » Commençant de premières mesures cet été, le professeur Alain Deloire, enseignant chercheur à l’Institut Agro de Montpellier, confirme qu’il ne s’agit pas d’augmenter le rendement, mais d’essayer de le maintenir. Un vigneron ayant pris les devants, 5 parcelles de syrah, grenache et roussanne sont déjà équipées en goutte-à-goutte, permettant d’avoir un premier aperçu des futurs effets de l’irrigation.
Sur les rendements observés ce 18 juillet sur des pieds de grenache noir, le poids frais moyen des baies s’élève à 1,1 gramme pour les vignes irriguées quand il tombe à 0,62 g pour celles non irriguées (soit +77 % pour la modalité irriguée). Le poids moyen des grappes passe de 131 g sur cep irrigué à 57 g dans irrigation (+130 % avec l’irrigation). « L’effet est spectaculaire : il n’y a pas photo sur les quantités, sans parler de la qualité et de la pérennité vignoble » pointe Alain Deloire, soulignant que les rendements obtenus par irrigation restent inférieurs aux limites des AOC Côtes-du-Rhône et Côtes-du-Rhône Villages.


Autre effet de l’irrigation : la résistance aux fortes chaleurs. Alors qu’une température de 39,2°C était mesurée dans l’air, les feuilles exposées au soleil se raffraîchissaient à 34°C pour les vignes irriguées, mais flambaient à 44°C pour les vignes non irriguées. De même, la température des feuilles à l’ombre va de 31°C pour la modalité irriguée à 35°C pour celle sans apport d’eau. « Si la vigne transpire, c’est bien pour réduire sa température. Avec de l’eau, la vigne peut se réguler » pointe Alain Deloire, notant que les volumes utilisés sont faibles : avec trois apports de 36 litres par pied sur la campagne, cela représenterait 45 mm d’eau : loin des 80 mm fixés comme limite de prélèvement. « Il s’agit de débloquer les situations, sinon les raisins sèchent et ne sont pas vendangeables. On est dans une stratégie de sauvetage » indique Alain Deloire.
Rappelant que la vigne consomme peu d’eau, Pierre Gérus confirme avoir conscience des enjeux de préservation de la ressource en eau. Pour lui, l’apport d’eau est primordial : « sans projets d’irrigation, la vigne disparaît des Côtes du Rhône d’ici 3 à 5 ans. Ce souci est partagé, avec d’autres projets dans le Vaucluse, la Drôme, le Gard… » Mais pour bénéficier d’une irrigation d’appoint tout au long du cycle de la vigne, encore faut-il que la réglementation évolue. « Le Code Rural interdit par principe l’irrigation, mais avec des dérogations systématiques tous les ans, l’article n’est plus valable » indique Pierre Gérus, qui note également que le déclenchement de l’autorisation d’irrigation par l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) suivant l’arrêt de croissance d’apex de parcelles témoins est trop tardive, « le mal est fait ». La date butoir du 15 août pose également problème. « Il ne faut pas suivre la réglementation, mais les besoins de la vigne » souligne le président de l’ASA. Misant sur de premières irrigations dès 2023 sur le territoire des trois châteaux, Pierre Gérus espère un déploiement sur les cinq prochaines années, malgré les inquiétudes sur la santé économique des opérateurs rhodaniens : « tous les coûts augmentent et les vins des Côtes du Rhône ne se vendent pas… »
"Grenache noir: vignes irriguées présentant une volume de végétation de vigueur moyenne et donc une surface foliaire exposée adaptée à la charge en raisin, et des feuilles saines et fonctionnelles" analyse le professeur Alain Deloire.