arie Traissac, oenologue consultante chez Enosens Grézillac, conseille occasionnellement la bioprotection de la vendange rouge avec Saccharomyces cerevisiae pour prévenir le développement des Bretts, tout en réduisant le sulfitage. « Après un ensemencement à la benne à hauteur de 5 g/hl, la souche s’implante au détriment des micro-organismes d’altération », explique-t-elle. Après ce premier apport, elle recommande un second levurage à 15 g/hl à l’encuvage avec la même souche, puis de conduire la fermentation de façon classique.
« Cette pratique fonctionne plutôt bien mais demande de l’organisation, une hygiène irréprochable au chai comme à la vigne et une bonne maîtrise des températures », précise-t-elle. En effet, si la levure réduit le risque de développement de la flore indigène, elle ne l’élimine pas totalement. Et la fermentation risque de démarrer plus tôt que prévu, raison pour laquelle Marie Traissac ne bioprotège pas les blancs avec Saccharomyces cerevisiae. Autre point : il faut suivre la teneur en azote assimilable pour garantir les fins de fermentation. « Parfois, il faut compenser l’azote consommé par la levure au premier levurage en complémentant en début de fermentation alcoolique », explique-t-elle.
Mais, depuis l’apparition des non-Saccharomyces, la bioprotection avec Saccharomyces cerevisiae a un peu perdu de son intérêt, sauf s’agissant de son coût. Pour des raisons pratiques, Marie Traissac conseille plutôt les non-Saccharomyces à ceux qui sont prêts à la dépense. « Elles sont plus faciles à mettre en œuvre car leurs levains durent jusqu’à six heures. On gagne en flexibilité et on n’a pas à se soucier du risque de départ prématuré en fermentation. »
Ce risque ne tracasse pas Emilie Lejour. L’œnologue de la coopérative alsacienne Wolfberger utilise une souche de levure neutre, dotée d’un facteur killer K2 à seulement 1 g/hl, sur ses blancs en sortie de pressoir pour lutter contre la flore indigène, car elle ne sulfite pas. Puis elle maintient les moûts entre 7 et 10 °C et les débourbe rapidement par flottation. Après soutirage, elle levure une seconde fois à 10 g/hl avec une levure adaptée au terroir vinifié. « Bien sûr, il faut accepter le brunissement des moûts, ce qui est parfois un peu difficile pour un œnologue… », déclare-t-elle, mais cette étape passée, elle se réjouit des bons résultats.
Pour les années plus chaudes, ou lorsque l’état sanitaire de la vendange est dégradé, elle assure le coup avec un apport de chitosan (KTS FA), toujours en sortie de pressoir, qui lui paraît plus adapté pour débarrasser les moûts de leur flore indésirable. « Pour ce qui est des non-Saccharomyces, je n’ai pas franchi le pas car je ne suis pas convaincue du rapport coût - efficacité », confie-t-elle.
Au laboratoire Natoli & Associés, Thibault Coursindel, œnologue conseil, prône la bioprotection avec Saccharomyces pour les raisins rouges récoltés sur des parcelles éloignées, dès lors qu’aucune macération préfermentaire à froid n’est prévue. Une bonne manière selon lui de préserver ces vendanges du risque de contamination microbienne durant le transport. Pour des questions pratiques, il préconise d’incorporer 10 g/hl de levure Easy 2 Use à la benne, une formulation se réhydrate directement au contact du jus. « S’il y a un départ en fermentation, cela ne pose pas de problème comme on n’a pas prévu de macération préfermentaire. À l’encuvage, on effectue un second levurage avec la même souche à 20 g/hl », préconise-t-il. « Lorsque je n’ai pas cette problématique de temps de trajet, j’utilise la bioprotection avec Saccharomyces comme alternative au sulfitage. »
Autre avantage, la fermentation alcoolique est souvent plus franche et plus rapide. « Et c’est d’autant plus intéressant que ce n’est pas cher ! » ajoute-t-il, soulignant que les non-Saccharomyces sont environ quatre à six fois plus chers que les Saccharomyces !
Au domaine de la Milleranche à Jullié dans le Beaujolais, plus de sulfitage à l’encuvage. Depuis qu’il utilise Primaflora sur les vins rouges, Jérôme Corsin ne reviendrait en arrière pour rien au monde ! « Au début, je l’utilisais sur une cuvée. Mais depuis trois ans, je l’ai élargi à toute la gamme. Je ne sulfite plus à l’encuvage. J’ajoute 5 à 10 g/hl de Primaflora au fur et à mesure que le raisin rentre. Et le soir, je fais un levurage classique à 10 g/hl. Je sulfite 2 à 3 g/hl en fin de malo et en fonction des analyses ensuite. C’est une autre organisation. Il faut anticiper et rester vigilant sur l’hygiène, mais je mets moins de sulfites et j’ai des vins qui s’ouvrent plus vite, sont plus fruités. » Primaflora est un mélange de Saccharomyces et non-Saccharomyces (Metschnikowia pulcherrima). Et si la solution, c’était le compromis ?