Le vin procure des émotions. Ce n’est pas seulement déclaratif, il y a une réalité physiologique derrière » explique le docteur Sophie Tempère, enseignante-chercheuse à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV), ce 12 mai lors d’un atelier de dégustation organisé par les vignobles André Lurton à l’école du vin du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB). Encadrée par Sophie Tempère, la thèse d’Inès Elali amorcée l’an passé à Bordeaux a obtenu de premiers résultats sur l’évolution de constances physiologiques en fonction des cuvées servies à des consommateurs. « Selon le type de vin, on mesure un changement de rythme cardiaque, une conductance de la peau différente… Le système nerveux répond. Le vin est un vecteur d’émotions » souligne Sophie Tempère, qui y voit la possibilité d’objectiver le supplément d’âme des vins : et d’en faire l’égal d’œuvres d’art suscitant des émotions (peinture, musique, poésie…).
Poursuivant prochainement ces expériences avec des professionnels (un appel à candidature est ouvert), cette recherche doit présenter ses premiers résultats officiels à la fin 2023. En attendant, d’autres premiers résultats ouvrent de nouvelles pistes. « Le statut émotionnel peut impacter la dégustation » indique ainsi Sophie Tempère. Si en termes de dégustations, « on voit tous qu’il y a des jours avec et des jours sans » rapporte la chercheuse, les essais menés confirment que selon l’état d’esprit des participants (fatigue, stress, tracas…), les jugements de préférence sont différents sur de mêmes vins pour un même dégustateur. « On dit souvent qu’un professionnel met de côté ses émotions pour déguster. Mon hypothèse est que l’émotion participe à l’expertise », voire que « l’émotion est au cœur de l’apprentissage de la dégustation et du vin » avance Sophie Tempère.


Pointu, le sujet des performances organoleptiques est d’autant plus ardu à étudier que « le dégustateur parfait n’existe pas » prévient l’enseignante. S’appuyant sur de précédents essais menés sur un panel de 150 dégustateurs, l’experte souligne qu’« il n’y a personne qui soit sensible à l’ensemble des arômes étudiés. Chacun a des anosmies et hyposmies. Que l’on soit expert ou consommateur, on a tous des trous. » En témoignent les anosmies spécifiques pour les notes aromatiques de poivre (40 % de la population pour la rotundone) ou des arômes d’eucalyptus (33 % pour l’eucalyptol, ou 1,8-cinéole).
Malgré ses limites, « notre odorat est irremplaçable » ajoute Sophie Tempère, notant que le nez peut être plus puissant que l’outil de chimie analytique (comme avec le bromocrésol, où 50 % des dégustateurs sont capables d’en détecter l’odeur iodée à une concentration inférieure ou égale à 6 ng/l, quand la limite détection des outils d’analyse est de 11 ng/l et que leur limite de quantification est de 36 ng/l). Et s’il n’existe pas de dégustateurs parfaits, il est possible d’améliorer ses aptitudes de dégustations par l’exercice quotidien (s’entraîner régulièrement, essayer l’imagerie mentale…) et des tests olfacto-gustatifs (pour connaître ses points forts et faibles, certains pouvant être travaillés pour s’améliorer et d’autres, d’origines génétiques, nécessitant de faire appel à une expertise extérieure pour être complet). « Être très sensible n’est pas forcément une bonne chose, on ne perçoit plus que des défauts et des déséquilibres » ajoute Sophie Tempère, soulignant que l’« on a tous nos points faibles et forts. Les connaître permet de les travailler ».