es alcools en général, et les vins en particulier, sont souvent présents dans les récits de Michel Houellebecq : son dernier roman, Anéantir (éditions Flammarion) ne fait pas exception. Des grands crus agrémentant des rencontres syndicales à Bercy à de petits formats expédiés dans le TGV Paris-Lyon, en passant par de solitaires bouteilles de Muscadet, le vin semble être un accessoire incontournable pour accompagner ses personnages, souvent solitaires et toujours désabusés sur la société en général et leur vie en particulier.
Dans Anéantir, le protagoniste Paul Raison place ainsi le vin en palliatif lors d’un dîner avec sa sœur, Cécile, au restaurant les Trois Dômes du Sofitel de Lyon. Choisissant rapidement son plat, « il se rattrapa sur le vin, optant sans hésiter pour une des bouteilles les plus chères de la carte, un Corton-Charlemagne. Ce vin était marqué par "des tonalités beurrées et des arômes d’agrumes, d’ananas, de tilleul, de pomme au four, de fougère, de cannelle, de silex, de genévrier et de miel". C’était vraiment n’importe quoi, ce vin. » Moqueur, le romancier n’invente pas totalement ce commentaire de dégustation du grand cru de Bourgogne : il reprend des descriptifs du Guide Hachette (« Nez : Un bouquet d'une grande délicatesse, sur des tonalités beurrées pomme au four, teintées d'agrumes (ananas), de silex, de tilleul, de fougère, de genévrier, de cannelle. Les notes miellées (jusqu'à l'hydromel) sont fréquentes. Le cuir, la truffe font escorte aux millésimes plus anciens. »). Contacté par Vitisphere, le restaurant les Trois Dômes indique le Corton Charlemagne est bien le vin le plus cher de leur carte, et que « Michel Houellebecq nous a fait l’honneur de faire partie de nos hôtes ».


Bercé par les souvenirs heureux d’une partie de son enfance dans le Beaujolais, le protagoniste d’Anéantir reconnaît qu’« en dehors de Paris il ne connaissait vraiment que le Beaujolais, région prospère, les viticulteurs étaient sans doute les seuls agriculteurs français, à l’exception de quelques céréaliers, qui parvenaient à ne pas être en permanence au bord de la faillite, voire à dégager quelques bénéfices ». Si les dernières données statistiques contredisent cette vision des trésoreries viticoles (l’excédent brut d’exploitation des vignerons étant deux fois plus négatifs que celui des autres agriculteurs), Michel Houellebecq conserve une vision économiquement performante de la filière vin.
En 2019 dans Sérotonine, son héros ingénieur agronome se rappelait ainsi d’un entretien d’embauche à la Direction Régionale de l’Agriculture de Basse Normandie où il était dit que « contrairement aux vins (il rendit à ce stade un hommage long et appuyé à l’interprofession des vins de Bordeaux), le secteur fromage n’avait pas su anticiper l’arrivée des émergents, essentiellement la Russie, mais bientôt la Chine, et sans doute l’Inde un peu plus tard. »
Plaçant ses récits dans un avenir proche, Michel Houellebecq peut aussi nourrir les réflexions stratégiques de la filière vin. Dans La Carte et le territoire paru en 2010, le romancier développe l’idée que l’avenir économique de la France réside dans une transformation en Disneyland gastronomique pour de riches touristes étrangers. Dans Anéantir en 2022, le ministre de l’Économie créé par Michel Houellebecq indique qu’il n’y a plus de place à l’avenir pour la production de moyen de gamme en France, dont le tissu industriel doit se positionner sur le haut de gamme. Soit des orientations d’œnotourisme de luxe et de course à la premiumisation des cuvées.