lors que les tournois de football internationaux excluent les équipes russes et que des distributeurs de spiritueux bannissent les vodkas russes, « il serait dommageable que seul le monde du vin ne prenne pas de sanctions contre les oligarques proches de [Vladimir] Poutine pour faire pression sur l’invasion de l’Ukraine. Peut-on, quand on est caviste ou distributeur, continuer à vendre ces vins ? » indique un lecteur languedocien à Vitisphere, estimant que le relai d’un appel vigneron à la solidarité pour le peuple ukrainien doit aller plus loin en appelant au boycott contre les propriétés russes.
Si des investisseurs russes sont effectivement présents dans les vignobles de France, la question des actifs dans le vignoble français d’oligarques russes sanctionnés est complexe à approcher. D’un point de vue purement pratique d’abord : avec le difficile recoupement entre la liste européenne des oligarques sanctionnés et les prises de participation dans des vignobles de Bordeaux, du Languedoc, de Provence… D’un point de vue éthique ensuite : « il ne faut pas confondre les riches russes francophiles qui sont propriétaires d’un château avec les oligarques proches du Kremlin » tempère un connaisseur de l’Europe de l’Est, soulignant être contre le Russie présidée par Vladimir Poutine, mais pas contre tous les Russes : « tous les Russes ne sont pas méchants. Comme tous les Ukrainiens ne sont pas bons. »
Propriétaire des domaines Prieuré de Saint-Jean de Bébian (Languedoc) et Jean-François Ganevat (Jura), l'héritier d'un oligarque russe Alexander Pumpyansky* indique, via son domaine jurassien, « que personne en Russie ou en Ukraine ne souhaite cette guerre sanglante. C'est une terrible suite d'erreurs qui a malheureusement conduit à un conflit aussi dramatique. Les Ukrainiens et les Russes de mon âge (j'ai 35 ans) sont nés dans le même pays [NDLA : l'URSS, disparue il y a 30 ans] et ont grandi avec la même culture et les mêmes valeurs. Le conflit actuel est une erreur politique et je pense que les gens devraient être unis en réponse à cette agression. »
La frilosité est de mise dans les points de vente, où l'on souhaite parler boissons alcooliques et pas débattre de géopolitique. Le Syndicat des Cavistes Professionnels indique ainsi qu'après décision de son conseil d'administration, il « n’ a pas à prendre de position sur aucun sujet politiquement sensible (COVID, passe vaccinal, par exemple) et il en est de même pour la guerre en Ukraine et à un boycott des produits russes. Le SCP se limite donc à obéir aux directives gouvernementales. Si quelque chose venait à être fait dans ce sens-là, le SCP obtempèrera et conseillera ses adhérents à suivre les instructions. » Confirmation de cette neutralité avec un caviste : « actuellement on est plus contre Poutine que contre les Russes. C'est ce que je réponds aux quelques clients qui s'étonne que je vende encore de la vodka russe. Et ils me répondent que j'ai raison » Soulignant qu'un boycott toucherait des employés français, il note que « ce sont des problèmes très délicats. Ce n'est que mon avis personnel. Qui peut changer dans trois jours selon les informations... et possibles désinformations. »
Pas de quoi convaincre le lecteur ayant interpellé Vitisphere et appelant à des actes forts : « dans la vie il faut se situer et ne pas éternellement fuir, l’histoire finie toujours par nous rattraper » prévient-il. Libre à chacun de se positionner entre un boycott aussi économique que symbolique et une approche se voulant autant diplomatique que pragmatique. Pour d’aucuns, le boycott le plus efficace contre la Russie touche à ses exportations énergétiques. Que ceux qui ne veulent pas mettre d’eau dans leur vin en mettent dans leur gaz.
*: Issu d'une famille ayant fait fortune dans l'acier, il ne fait pas partie des 680 personnes visées par les sanctions européennes depuis le 2 mars dernier.