amais deux sans trois. En cours de révision décennale, le classement des grands crus de Saint-Émilion est de nouveau poursuivi devant la justice administrative par une propriété ayant été recalée aux étapes préliminaires. Après la procédure victorieuse des châteaux Croix de Labrie (appartenant à la famille Courdurié) et Tour Saint-Christophe (Vignobles K, de l’investisseur chinois Peter Kwok), réintégrés à la procédure de classement en décembre dernier, le château Rocheyron (8,45 hectares en bio, appartenant depuis 2010 à l’entrepreneur suisse Silvio Denz et à l'oenologue danois Peter Sisseck) demande ce 31 janvier au tribunal administratif de Bordeaux la suspension de l’irrecevabilité de sa candidature, signifiée l’été dernier par l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO). Si les trois affaires s’attaquent aux modalités de calcul de la part de vins produits sur l’assiette foncière du cru (limité à 50 % par l’article 4 du règlement de classement*), ce « dossier est différent des précédents » note le juge des référés Julien Dufour, qui souligne qu’« il n’y a pas vraiment de variation dans le temps de l’assiette foncière (contrairement aux châteaux Croix de Labrie et Tour Saint-Christophe), mais sur les dix ans on a une production sous le nom de cru qui est juste à la limite des 50 % ».
« Juste en dessous » réagit maître François Pinet, défendant l’INAO. « Juste au-dessus » répond en même temps maître Solène Pénisson, pour le château Rocheyron (par substitution de maître Arnaud Agostini). Déposant sa première demande de classement, la propriété estime que le vin produit et revendiqué sous son nom s’élève à 50,4 % des volumes produits en totalité sur 10 ans. Alors que le calcul de la moyenne décennale des moyennes annuelles est de 48,5 % pour l’INAO, qui souligne que les 144 candidats au classement de 2022 revendiquent en moyenne 75 % de leur production sous leur nom de cru.


Pour maître Solène Pénisson, la sélection qualitative du château Rocheyron est à l’origine de ce plus faible pourcentage : « aujourd’hui ça les pénalise, ils ne veulent revendiquer que les parcelles qu’ils considèrent être les plus qualitatives. Sur 5 années, ils sont au-dessus de 50 %, sur 4 années ils sont entre 45 et 50 % et sur une année ils sont très en dessous (en 2013, on a un volume très bas de 5,3 % car l’année était très mauvaise et qu’ils avaient décidé de ne pas dégrader la qualité de leurs vins. » Rappelant que la définition d’un taux minimal de vin produit en moyenne sur le parcellaire proposé au classement permet de garantir la représentativité des cuvées du cru pour les travaux de la commission INAO, maître François Pinet souligne qu’« en réalité, la superficie de l’assiette foncière revendiquée n’est probablement pas en rapport avec la production qui est revendiquée sous le nom du cru présenté au classement. Le reste de la production est commercialisé sous un autre nom, c’est là qu’est la difficulté. C’est substantiel, ce n’est pas purement théorique. »
Indiquant partager la vision théorique, mais pas pratique, de l’INAO sur les règles de classement, maître Solène Pénisson souligne que le sujet doit être tranché urgemment. La commission de classement devant trancher ce printemps, tandis que les préjudices financiers peuvent être conséquents pour la propriété. L’avocate bordelais indique que le château Rocheyron a investi 725 000 € d’investissements dans cette première candidature, sachant qu’un classement fait varier la valorisation foncière d’une parcelle « d’un à trois ».
Mettant en délibéré le dossier, la juridiction indique arrêter un jugement d’ici la fin de semaine.
* : Cette disposition limite la recevabilité des impétrants à la condition d’« avoir produit durant cette période sous le nom du cru revendiqué un minimum de 50 % en moyenne des vins issus de l'assiette foncière figurant dans le dossier de candidature ».