C’est un dossier complexe. Qui sous couvert juridique couvre des enjeux économiques et politiques, au bon sens du terme, de gestion de filière » pose Marc Pouyssegur, le président de la chambre civile du tribunal judiciaire de Narbonne ce 16 décembre. Sa juridiction se penche en effet sur une procédure épineuse : l’attaque par la Fédération Régionale des Metteurs en Marché Direct de la légalité de l’assemblée générale élective du Conseil Interprofessionnel du Languedoc (CIVL), qui s’est tenue ce 2 juillet et qui a exclu des débats les représentants des metteurs en marché direct du collège des commercialisateurs.
Premier point difficile relevé par le président Marc Pouyssegur : l’Union des Entreprises Viticoles Méditerranéennes (UEVM), représentant le négoce régional, n’est pas poursuivie dans l’affaire, alors que son rôle y est central, ayant rompu l’équilibre politique trouvé il y a vingt ans. « Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais […] l’UEVM, l’organisation représentative des metteurs en marché au sein du CIVL, dont on dira qu’ils ont des intérêts communs non pas de collaboration, mais de collusion dans ce dossier (n’ayons pas peur des mots) avait réservé des places de délégués aux vignerons mettant en marché leur production [jusqu’au] drame de juin 2021 » avance le président Marc Pouyssegur.


Dans les pièces du dossier, l’UEVM indique par mail le 17 juin que les représentants des metteurs en marché direct ne peuvent appartenir pas au collège du négoce, par défaut de code d’Activité Principal Exercée (APE) de commerce. Pour le négoce, les délégués metteurs en marché direct ne peuvent être convoqués à l’assemblée générale. « Personne n’est dupe, est sous-jacent le problème politique de la représentativité des producteurs vignerons producteurs qui assurent une partie de la commercialisation de leur production, qui ont aussi des représentants dans le collège de la production. C’est le nœud du problème » pointe le président de la chambre civile.
Seule la juridiction administrative peut se pencher sur la représentativité d’un interprofession réplique maître Pierre Lafont, qui défend le CIVL, et qui indique que l’interprofession « n’a pas à juger du bien fondé des arguments de l’UEVM, qui explique arrêter de réserver un quota aux metteurs en marché direct. Le CIVL est une association, elle n’a qu’à recevoir la liste des délégués déposée par les organisations représentatives. » Et d’ajouter que « ce qui s’est passé, c’est que l’UEVM a tiré le tapis sous les pieds des metteurs en marché direct. Ce n’est pas le CIVL, c’est l’UEVM. »
Le défaut de convocation venant du CIVL, c’est bien l’interprofession qui ne respecte pas ses statuts pointe maître Frédéric Pinet, la défense de la Fédération Régionale des Metteurs en Marché Direct. L’avocat souligne que les statuts interprofessionnels de 2017 n’évoquent pas de collège ou de statut de négociant, mais de metteur en marché (comme le Code Rural). Maître Frédéric Pinet ajoute que ses clients « paient la cotisation des producteurs et des metteurs en marché. C’est trop facile de ne pas reconnaître de droit de vote et de prendre les finances ». Comme le résume le président de la chambre civile : « vous reprochez un coup d’état de l’UEVM au CIVL ».
Le cœur débat reste la structuration politique du CIVL. « Les metteurs en marché direct ne sont pas de petits vendeurs de vin sur le marché l’été, ils pèsent pour 40 % des ventes » rappelle l’avocat du barreau de Narbonne, qui dénonce « la mainmise de l’UEVM sur le CIVL » avec des critères d’accès qui limiteraient des aides à l’investissement export aux seuls grands opérateurs (« en réalité de grands producteurs avec des activités de négoce : Bonfils, Jeanjean, Gérard Bertrand… »). S’appuyant sur ces éléments, maître Frédéric Pinet demande l’annulation de l’assemblée générale, de l’élection du conseil d’administration et de l’élection du président du CIVL. Ainsi que la nomination d’un administrateur temporaire pour organiser une nouvelle assemblée générale, l’absence des membres metteurs en marché direct ayant pour lui modifié la teneur et l’issue des débats


Le poids des metteurs en marché direct est trop faible pour peser dans la décision finale balaie maître Pierre Lafont. Soulignant que payer des Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) ne donne pas aux metteurs en marché le droit d’être membre du CIVL (mais permet d’être représenté par les syndicats viticoles), l’avocat du barreau de Montpellier indique que les metteurs en marché direct n’ont plus de mandat, car les statuts du CIVL indiquent qu’ils peuvent prendre fin avec la perte de qualité syndicale. Des arguments fallacieux pour maître Frédéric Pinet, qui indique que la minoration du rôle des metteurs en marché direct témoigne de décisions prises à l’avance, quand la qualité syndicale de ses représentants ne dépend que de leur fédération régionale. Face à la complexité et la portée du sujet, l’enjeu du dossier dépasse le seul Languedoc indique l’avocat, qui lance au président : « toutes les interprofessions sont dans l’attente de votre décision ».
« Je me passerai bien de cette fierté » soupire le magistrat, qui annonce le rendu de son délibéré le 3 février 2022. Quelle que soit l’issue, un appel semble très probable, pouvant lancer une véritable saga judiciaire. À moins qu’un accord soit trouvé entre les parties, comme le préconise le CIVL. Ce que la proposition faite par l’UEVM de donner un statut de membre associé aux metteurs en marché direct ne semble pas avoir débloqué.