021 illustre à la perfection, le système de vases communicants opérant sur le marché mondial du vrac. Tandis que l’Afrique du Sud vient à la rescousse des acheteurs privés de sauvignon blanc néo-zélandais, les Espagnols se mettent au service des Australiens pour contourner la problématique des taxes chinoises et les Chiliens approvisionnent la Chine en l’absence des Australiens. Ce jeu des chaises musicales témoigne aussi de l’immense capacité d’adaptation du marché du vrac, qui représente environ un tiers des échanges mondiaux de vin. « Le secteur du vrac s’apparente au marché boursier. Il subit de fortes hausses et de fortes baisses », note Blandine Phillibert, directrice France de la World Bulk Wine Exhibition. « Cette instabilité l’oblige à être réactif et à se renouveler en permanence ». Et c’est une instabilité qui va grandissante, tant les aléas climatiques – et de plus en plus les tensions géopolitiques – perturbent les flux classiques. Mais l’impact n’est pas forcément négatif : « La volatilité de la production a entraîné une plus grande ouverture d’esprit parmi les opérateurs », estime Andrew Porton, directeur de la société britannique The Wine Fusion. « Quand les approvisionnements de sauvignon néo-zélandais se sont taris, par exemple, ils se sont rendu compte qu’il y avait d’autres origines très intéressantes ».
Et ce ne sont pas les Sud-Africains qui s’en plaindront. « Nous sommes en train de combler le vide laissé par la Nouvelle-Zélande », se félicite Thys Loubser, œnologue à la cave coopérative Robertson, qui élabore environ 32 millions de litres de vins par an. Résultat : le prix du sauvignon blanc en vrac est monté en flèche, et les perspectives pour 2022 restent bien orientées. « Les vendanges débuteront fin janvier et nous avons déjà des réservations sur le sauvignon blanc par exemple ». C’est une excellente nouvelle pour une filière sérieusement mise à mal par plusieurs années de sécheresse et plus récemment, par des mesures gouvernementales extrêmement strictes dans le contexte du Covid-19. « La récolte 2021 se vend très bien, les vignobles sont jolis, les barrages sont pleins et les nouvelles plantations vont bon train. Les viticulteurs sont prêts à planter de nouveau ». Confrontée à l’inflation du prix des intrants et de l’énergie, comme partout ailleurs, la cave de Robertson reste néanmoins très mesurée en matière tarifaire, ses prix ne devant augmenter que de 5% cette année.
Ce n’est pas le cas en Italie. « Nous voyons des hausses allant jusqu’à 50% sur les entrées de gamme et +20/25% sur les IGP/DOC », alerte Stefano Cortecchia, directeur commercial auprès de l’entreprise éponyme en Emilie-Romagne. « Vu la conjugaison de facteurs cette année, il était normal que les prix augmentent mais le problème c’est que les hausses sont intervenues rapidement. Tout le monde a paniqué suite à la petite récolte française, mais nous pensons que ces augmentations ne seront pas consolidées ». La réaction des acheteurs ne s’est pas fait attendre : « Une grande partie de l’activité s’est arrêtée, les acheteurs attendent que le marché se stabilise ». Il en est de même en Espagne. « Le marché est très calme », confirme Luis Miguel Borras, directeur export de la cave Cherubino Valsangiacomo près de Valence, qui figure parmi les tout premiers exportateurs espagnols de vins en vrac. « Il y a eu une hausse de 20% des prix mais maintenant il y a une stagnation. Les acheteurs pensent que les prix vont baisser ». Cela, malgré le fait que les disponibilités en blancs notamment restent extrêmement tendues : « Il n’y a presque plus de chardonnay ni de vins de cépage blancs globalement », note Luis Miguel Borras.
Les incertitudes liées à la recrudescence du Covid-19 ne sont pas étrangères à l’attentisme des acheteurs. Aucun d’entre eux ne veut prendre le risque de se retrouver avec des stocks, même si les problèmes logistiques, vécus aux quatre coins du globe, poussent à assurer les approvisionnements. Ces difficultés pourraient entamer l’embellie évidente du marché cette année : « Nous avons assisté à un véritable rebond au premier semestre 2021 où les valeurs ont dépassé celles d’avant-crise », observe Rafael del Rey, directeur de l’Observatoire espagnol du marché des vins, qui pointe aussi la pénurie de vins comme un autre facteur pouvant limiter la croissance future. Toujours est-il que, pour l’heure, la campagne 2021-2022 démarre sous de bons auspices, et dans l’Hémisphère Sud l’optimisme est globalement de mise. « La prochaine récolte présente de belles perspectives », confirme le Français Laurent Teillet, président de l’entreprise chilienne Premium Wines. « Tout peut encore arriver, y compris des tremblements de terre, mais pour le moment nous sommes relativement optimistes ». En Argentine, en dehors de quelques orages de grêle dans la province de San Juan, la situation se présente bien aussi : « Nous pensons que la récolte sera semblable à celle de 2021 », avance Eneas Riquelme de la société Fecovita, plus grand producteur de vin en Amérique du Sud avec 270 millions de litres par an. « Il y a eu quelques gelées précoces mais elles ne sont pas très significatives ». En Afrique du Sud, aussi, les perspectives sont bonnes : l’organisme professionnel Vinpro a affirmé cette semaine que la production 2022 pourrait être supérieure à la moyenne quinquennale, tout en étant inférieure à celle de 2021. « Ce sera probablement une bonne année », conclut Rafael del Rey. « Il y a de la demande et des signes de reprise ».