e premier arrivé a-t-il gagné ? En tout cas, il s’est servi ! Démarrée sur les chapeaux de roue cette semaine, la campagne de vente des Beaujolais Nouveaux tient de la guerre éclair, à la plus grande surprise de négociants n’ayant pas vu le coup venir. D’après des retours concordants, les représentants du négoce évoquaient la semaine dernière encore des prix d’achat ne dépassant pas 250 euros/hectolitre de Beaujolais Nouveau et 270 €/hl pour le Beaujolais Village Nouveau. Mais patatras ! La maison Jean Loron aurait tiré la première et déclenché les hostilités en partant sur des prix de 300 €/hl sur les primeurs Villages. Faisant grincer de nombreuses dents dans le négoce. « Le marché s'équilibre de jour en jour entre une offre limitée cette année, en raison d'une trop faible récolte, et une demande particulièrement soutenue, grace à la reprise économique. Les cours actuels de 280 € les Beaujolais et 300 € les Villages sont en mesure de trouver le point d'équilibre dont la région a besoin » indique Philippe Bardet, à la tête de la maison Jean Loron (filiale de Louis Jadot).
Lancée sur ces bases, la campagne n’en a pas dévié alors que les caves coopératives ont commencé à vendre leurs volumes. Les premières mercuriales de l’interprofession des vins du Beaujolais indique des cours de primeurs dépassant 280 €/hl en Beaujolais Nouveau et 300 €/hl en Villages. Soit des hausses de 50 % par rapport au plafond des 190 €/hl qui mobilisait la viticulture l’an passé. Après le gel et le mildiou, « il n’y a rien d’affolant, comme il s’agit d’une petite récolte » relativise David Ratignier, le président de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG). Pour le vigneron, « ce n’est pas la flambée, c’est la hausse due à une petite vendange (à peine 35 hl/ha en Beaujolais et 30 hl/ha en Villages). A ces rendements contraints s’ajoutent des stocks nuls et des ventes records. Le tout fait une tension des prix du vin qui n’est pas plus haut que dans d’autres vignobles (on entend parler de +70 % en Bourgogne générique). Comme nous sommes les premiers à vendre, on passe les hausses en premier. »


Cette inflation tient aussi du « rattrapage, ça faisait longtemps que les prix n’avaient pas progressé, ils avaient même baissé l’an passé » analyse Philippe Thillardon, le président de la fédération des caves coopératives du Beaujolais et du Lyonnais, qui confirme les faibles disponibilités. « Les coopératives ont de mauvaises surprises de rendements : ils sont inférieurs aux estimations du début de vendange » note le viticulteur, qui souligne que dans le vignoble, « on ne maîtrise rien, ça s’est emballé dès le départ. On dit toujours que la production fait la baisse et que le négoce fait la hausse. » Si la viticulture voit avec satisfaction s’envoler les cours, ces derniers ne seront pas suffisants pour faire oublier les petits rendements. « Même à ces prix, ça n’empêchera pas des difficultés dans les endroits où il y a eu très peu de vin » alerte David Ratignier.
Par rapport aux tensions de l’an dernier, « on passe d’un extrême à l’autre. Je n’ai jamais vu ça : contingenter les primeurs » témoigne Olivier Richard, le secrétaire du syndicat des courtiers en vins de la Grande Bourgogne. « Il y a tellement peu de vins et de volant que forcément, même si le négoce est peu enclin à payer ce prix, la balle est dans le camp de la viticulture » ajoute le courtier, pour qui actuellement « tout est quasiment vendu, ou réservé ou bloqué. Il y a tellement peu de volumes en caves coopératives qu’elles ne peuvent fournir leurs négociants habituels, qui achètent en propriété. »
Alors que l’heure est à la course panique des négociants pour satisfaire les marchés, la perspective de nouvelles hausses des prix diminue les commandes autant que les marges. De quoi risquer de mettre à mal la machine même des primeurs du Beaujolais pour certaines Cassandre. Cette année, « les consommateurs vont comprendre les hausses avec la pénurie mondiale de vin. Et notre hausse est faible quand on voit nos prix par rapport aux autres AOP » veut rassurer Philippe Thillardon, pour qui l’enjeu d’avenir est de stabiliser les cours pour éviter des effets yoyo dévastateurs. « Il faut pérenniser les cours à une valeur rémunératrice pour permettre aux viticulteurs d’investir (dans du matériel, des plantations… et préparer la relève) » souligne le viticulteur.
« Des hectares continuent à s’arracher et comme il y a peu de repreneurs, on va continuer à perdre des surfaces et donc des volumes. Le négoce va être obligé de changer ses pratiques d’achat » confirme Olivier Richard, le courtier évoquant la solution de la contractualisation. En attendant, le marché du vrac s’annonce déjà compliqué pour les vins de garde 2021…