Le Québec, c’est le village gaulois ! » aime à dire Gilles Goulet, directeur de la catégorie France à la SAQ. « Nous sommes huit millions de francophones entourés de 400 millions d’anglophones ». Ce n’est pas uniquement une question de langage, mais aussi de culture bien enracinée. Et c’est ce qui explique pourquoi les Québécois sont les tout premiers consommateurs de vins par habitant en Amérique du Nord, devant les Californiens, et que la France représente encore 30 % des ventes de la SAQ parmi ses 80 pays fournisseurs.
« Le Québec représente 23 % de la population canadienne, alors que, selon les catégories, nous assurons entre 60 et 75 % des ventes canadiennes de vins français » précise l’acheteur. Soit près d’un milliard de CAD (680 M€) de chiffre d’affaires par an – comprenant quelques spiritueux – pour quelque 59 millions de bouteilles vendues. A l’entendre parler, la place des vins français ne semble nullement menacée dans cette province canadienne, qui entretient des liens étroits avec la filière française depuis la création de la Commission des liqueurs en 1921, et d’un bureau à Paris la même année.
La liste des achats cette décennie-là est éloquente, et fait la part belle aux châteaux Lafitte et Haut-Brion entre autres domaines Faiveley et Drouhin. « Cet amour pour les vins français a débuté à ce moment-là et ne s’est jamais démenti » affirme Gilles Goulet, qui évoque une filière faite de « dentelle », où le nombre de références va souvent croissant, tranchant ainsi avec la tendance chez d’autres fournisseurs. « Il y a une dizaine d’années, nous comptions entre 300 et 350 fournisseurs en Bourgogne, contre plus de 500 aujourd’hui. Si je compare avec la Nouvelle-Zélande, par exemple, deux produits phares vont représenter 40 % des ventes, alors que pour la France, cela ne dépassera pas 1 ou 2 % ».
A contre-courant du Bordeaux bashing, qu’on a coutume d’entendre sur le marché américain et ailleurs, le responsable de la catégorie France souligne le rapport qualité-prix des vins, au-delà des 16$ (11 €), pour une moyenne de 24$ (16 €) dans le rayon Bordeaux-Bourgogne : « Tellement d’argent a été investi dans les régions françaises. Si je prends l’exemple d’un Bordeaux, probablement qu’un Cru Bourgeois à 25 $ offre la même qualité qu’un 5ème Grand Cru Classé dans les années 80. D’autres pays producteurs peuvent s’améliorer à l’avenir pour concurrencer la France, mais celle-ci a fait d’énormes progrès et va continuer à le faire. Sans parler de ses terroirs ».
« C’est la diversité qu’apporte la France qui fait sa force et son caractère très morcelé qui la protège », estime Gilles Goulet
Grande force de la France selon l’acheteur québécois, sa diversité lui permet de surfer sur toutes les tendances, qui – soit dit en passant – n’emboîtent pas toujours le pas à d’autres grandes régions de consommation. Au rosé, les Québécois ont plutôt préféré le vin blanc ces dernières années. Et ni la Bourgogne, ni Sancerre ou Vouvray ne s’en plaindront. « Les ventes de Bourgogne blanc ont doublé en cinq ans, passant de 47 millions de dollars à 90 millions ». La Bourgogne fait partie du trio de tête des régions prisées par les clients de la SAQ, avec le Sud de la France et Bordeaux, mais d’autres régions profitent aussi de la francophilie des Québécois.
« Chez les jeunes, le Beaujolais est très en vogue », note Gilles Goulet, s’appuyant sur les données recueillies dans le cadre du programme de fidélité Inspire du monopole. « Il apprécient ce style de vins sur le fruit, qui se rapproche un peu des vins natures ». Absence de « parkerisation » de la consommation oblige, la tendance générale va vers des vins très digestes et sur le fruit. Les vins bios, aussi, trouvent faveur auprès des consommateurs locaux et la SAQ en voit les ventes progresser globalement de 20 à 25 % par an. « A qualité égale et à prix sensiblement égal, nous allons préférer le bio, mais ce n’est pas absolument indispensable » nuance l’acheteur, qui souligne par ailleurs le grand intérêt du label HAute Valeur Environnementale (HVE). « On tente de le faire connaître car il aurait tout intérêt à se faire connaître au niveau mondial. C’est une certification sérieuse mais un peu trop méconnue des clients ».
Reste à savoir quel impact les faibles disponibilités françaises attendues cette année à cause du gel pourrait avoir chez l’un des trois plus gros acheteurs uniques de vins au monde. « Nous avons déjà géré ce type de situation en 2016 », rappelle Gilles Goulet. « Pour les produits de "grande surface", on doit accepter que les producteurs aillent moins vers les promotions. S'ils devaient faire une pause là-dessus, nous ne leur en tiendrons aucunement rigueur », rassure-t-il, estimant que ce ne sera pas le cas de certains gros acheteurs comme Costco aux Etats-Unis, où la promotion est toujours de rigueur. « La SAQ est un bon marché, un marché stable, qui n’a pas de problème de liquidités. Nos relations s’inscrivent vraiment sur le long terme. C’est un gros avantage ». A une époque où la volatilité règne, mieux vaut effectivement être tricotés serrés…
23 février 1921 : création de la Commission des liqueurs
1er mai 1921 : Ouverture des premières succursales de la Commission des liqueurs
1922 : première usine d’embouteillage ouverte à Montréal
1961 : Création de la Régie des alcools du Québec, et ouverture de la première succursale où le client voit le produit qu’il achète
1971 : création de la Société des Alcools du Québec
1978 : Les ventes de vins sont autorisées dans les épiceries
1989 : création d’EducAlcool et de son fameux slogan, « La modération a bien meilleur goût »
1994 : début de la vente de vin en vrac
2001 : lancement de saq.com
2021 : la SAQ fête son centenaire