e la Champagne au Portugal, en passant par l’Allemagne, la Bourgogne, l’Italie, la Loire et la Grèce, une trentaine de vignerons européens se réunit ce 16 janvier dans les Graves pour une dégustation à l’aveugle inédite : comparer des vins issus d’un millésime de leurs propriétés avec un même cépage, soit greffé, soit franc de pied. « C’est une expérience unique depuis la crise phylloxérique, qui n’avait pas été réalisée depuis 150 ans. L’enjeu est de définir la différence entre des vins de vignes greffées et franches de pied » s’enthousiasme d’avance Loïc Pasquet, le propriétaire de Liber Pater, qui organise la rencontre à domicile, à Podensac (Gironde).
Avec cet évènement, le défenseur d’un retour du vignoble bordelais à ses cépages et pratiques traditionnelles affiche clairement sa volonté de « constater que le greffage a changé le goût du vin. Il y a autant de différence entre un vigne greffée et franche de pied qu’entre une deux chevaux et une Ferrari. Je combats la standardisation d’une typicité variétale qui peut être atteinte n’importe où. De grands vins peuvent être faits partout avec un cépage ayant une histoire dans le lieu. »
Présenté comme la caution scientifique de cette dégustation comparative, l’expert Olivier Yobrégat se montre plus prudent. Pour le responsable du matériel végétal pour le Sud-Ouest de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV), il va être difficile d’atteindre dans la pratique l’objectif théorique de comparaison scientifique : « les résultats seront à prendre avec des pincettes. Il y a une quinzaine de paires de vins greffés/francs de pieds, avec des âges et parcelles différents qui limitent la comparaison. »
Au-delà de ces difficultés expérimentales, le technicien se montre peu convaincu par l’idée d’une perte qualitative due au greffage. Pour lui, « il n’y a aucune raison qu’il y ait toujours un comportement supérieur des francs de pieds par rapport à tous les porte-greffes existants ! Depuis le moment [préphylloxérique) de sélection des cépages, les conditions climatiques et les exigences de qualité ont évolué. Sans compter la conduite culturale qui n’ont plus rien à voir ! »


Soulignant que ses vignes franches de pied ont un rendement de 15 à 20 hectolitres/hectare, soit trois fois moindre que celles greffées voisines, Loïc Pasquet regrette que l’enjeu de la production de vin ait trop pris le pas sur le goût du lieu. La valorisation affichée par Liber Pater, officiellement « le vin le plus cher du monde » depuis l’an passé, témoigne d’une niche à la différenciation porteuse. Loïc Pasquet se défend d’ailleurs de créer un évènement de communication sur son vin : « cette dégustation n’est pas là pour justifier mon positionnement de prix. Liber Pater n’en a pas besoin. Je ne fais pas ma promotion, j’incite ceux qui peuvent le faire à m’imiter. » Le vigneron soulignant que si les terroirs argilo-calcaires sont très sensibles au phylloxéra, les sols graveleux-sableux de la rive gauche ouvrent des possibilités.