ésistant aux tentatives de prononciation de son nom, le cépage géorgien Mgaloblishvili (aussi orthographié Mgaloblichvili) est le premier Vitis vinifera à avoir été identifié scientifiquement pour sa moindre sensibilité au mildiou. Peu répandue hors de son vignoble natal d’Iméréthie, cette vigne de cuve rouge réussit à limiter le développement et la sporulation du champignon Plasmopara viticola. « C’était une surprise pour nous ! » s’exclame la docteur Silvia Laura Toffolatti, membre du département des sciences agricoles de l’Université de Milan, qui a publié cette découverte fin août, dans la revue Scientific Reports.
L’étonnement est en effet de mise. Si les variétés nord-américaines (comme Vitis labrusca et V. riparia) ou asiatiques (comme V. amurensis) sont connues pour avoir acquis une résistance au mildiou suite à une longue coévolution avec le pathogène, de tels mécanismes d’adaptation n’étaient pas caractérisés sur des vignes européennes. Vitis vinifera étant même réputée pour sa sensibilité à cette maladie venue des Amériques à la fin du XIXème siècle. « Une résistance à l'oïdium a déjà été décrite chez la vigne cultivée, la variété Kishmish Vatkana, mais rien de tel pour le mildiou, à ma connaissance » confirme le directeur de recherche Didier Merdinoglu, de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA).


Repérée en 2011 lors d’une vaste prospection de la diversité du vignoble géorgien (qui revendique le titre de « berceau mondial du vin »), la tolérance des feuilles et grappes de Mgaloblishvili* au mildiou a été confirmée par des tests en laboratoires. Si le mildiou envahit d’abord les tissus foliaires du cépage géorgien, son métabolisme répond par la création de barrières de callose autour de mycélium mort. « Le Mgaloblishvili réduit la sévérité de la maladie en dérégulant la sporulation du champignon » résume l’étude.
Réalisées à Milan, les inoculations de différentes souches de Plasmopara viticola sur des feuilles de Mgaloblishvili ont validé « la stabilité de la résistance » explique Silvia Laura Toffolatti. Au labo, les feuilles de Mgaloblishvili se sortent mieux d’un contact avec le mildiou qu’un cépage classique. Le pinot noir a servi de témoin, la sporulation est divisée par dix après six jours d’inoculation. Mais la performance de Mgaloblishvili est bien éloignée du niveau d’endurance des hybrides américains, comme la variété Bianca qui a servi de référence en termes de résistance.
« Nous ne pouvons pas comparer la résistance de Vitis vinifera à celle d’hybrides contenant des gènes d’autres espèces de vignes. Dans le cas du Mgaloblishvili, il n’y a pas de réaction hypersensible, mais une réduction de la croissance et de la sporulation de Plasmopara viticola, ce qui est une toute autre réponse » explique Silvia Laura Toffolatti. Qui ne veut pas parler de notions de « résistance complète ou partielle. Ce n’est pas une classification que nous utilisons. Le Mgaloblishvili est résistant au mildiou parce qu’il limite le développement du pathogène. »


Pouvant sembler accessoire, la question de la résistance de cette variété est essentielle pour éviter de faux espoirs martèle l’ampélographe Thierry Lacombe, ingénieur de l’équipe diversité, adaptation et amélioration de la vigne de l’INRA. « Il ne s’agit pas d’une résistance complète, mais de moindre sensibilité. La résistance est un terme à réserver aux réactions fortes, pas à celles moyennes ou faibles. Il faut éviter la confusion et les faux espoirs pour les producteurs. Sur cette variété, nous avons observé des fructifications du pathogène ! » explique l’expert, appuyant son argumentation sur les premières observations du programme Vitirama. Cette étude a été lancée en 2018 pour documenter les comportements de centaines de cépages et hybrides francs de pied de la collection de Vassal, à Marseillan (Hérault), où est justement planté le désormais fameux cépage géorgien.
Mettant à profit la virulence du mildiou ce millésime 2018, les ampélographes languedociens ont bien observé la moindre sensibilité du Mgaloblishvili au mildiou. Mais ils ont surtout repéré une centaine d’autres cépages d’intérêt. « Dans la collection, il y a une bonne centaine de Vitis vinifera aussi tolérants, présentant des attaques encore moins fortes. Avec moins de sporulations, des tâches plus petites et plus délimitées sur les feuilles… » décrit Thierry Lacombe. Originaires de France, du Portugal, de Géorgie et d’autres pays, ces variétés mineures ne sont pas inscrites au catalogue et vont demander de nouvelles observations pour que leurs tolérances soient validées (le programme Vitirama doit se conclure en 2020).
« Nous savons que Mgaloblishvili pourrait ne pas être le seul Vitis vinifera [à avoir cette aptitude], mais c’est, jusqu’à présent, celui qui présente le comportement le plus stable » répond Silvia Laura Toffolatti. En se focalisant sur un cépage géorgien, son équipe italienne a pu analyser le déterminisme génétique de cette moindre tolérance. Et mettre en évidence une expression génétique différente entre Mgaloblishvili et le pinot noir. Pour réponse à un stress microbien, le premier créé des barrières structurelles en surexprimant des gènes qui sont sous-exprimés par le pinot noir
« L’identification de traits de résistance dans l’ADN de Vitis vinifera est sans précédent » conclut l’étude italienne, qui estime que cela ouvre de « nouvelles perspectives dans la gestion durable des maladies viticoles ».
Que ce soit par ingénierie génétique, les chercheurs de Milan envisageant de recourir à l’édition génétique nouvelle génération (avec la technologie CRISPR-Cas9). Que ce soit par l’intégration de cépages eurasiens dans les programmes d’obtention de cépages résistants, les cépages géorgiens étant tardifs (ils pourraient avoir un intérêt vis-à-vis du changement climatique). De premiers croisements de Mgaloblishvili et de pinot noir ont d’ailleurs été réalisés par l’université de Milan, pour en tester la tolérance au mildiou et les qualités agronomiques (cette progéniture étant 100 % Vitis vinifera, contrairement aux nouveaux cépages résistants qui sont des hybrides).


« La moindre sensibilité du Mgaloblishvili est intéressante pour le pyramidage et le renforcement des résistances issues d’hybrides dans un programme d’obtention » estime pour sa part Thierry Lacombe. Mais avant de se projeter, le chercheur rappelle de bien faire « attention aux effets d’annonce : cette tolérance n’est pas un trait si rare. Et nous avons déjà de nombreuses ressources potentielles dans la collection de Vassal… » Avec un peu de chance, vous n’aurez donc même pas à apprendre à prononcer Mgaloblishvili.
* : Scientifique rigoureux en matière de bibliographie, Didier Merdinoglu souligne que « d'après l'ouvrage Caucasus and Northern Black Sea Region Ampelography, cette variété présente une résistance faible au mildiou. Ce qui semble en contradiction avec les conclusions de l’article. Mais plusieurs raisons peuvent être à l'origine d'une telle divergence d'observations (souches de mildiou différentes, clones de la variété différents, synonymie et/ou erreur sur le matériel végétal, conditions d’observation…). »
« Comme pour l'oïdium, même si cela est très rare, il n'est pas surprenant de trouver chez des Viniferas du Moyen-Orient des gènes au moins de tolérance aux parasites majeurs » analyse le professeur retraité Alain Carbonneau (Montpellier SupAgro), soulignant qu’il existe déjà une gamme de sensibilité assez large au sein des Vitis viniferas. L’expert souligne qu’au niveau des mécanismes, « la résistance au mildiou est une question de rapidité de mise en œuvre de mécanismes de défense. Les variétés sensibles ayant cette capacité mais ne l'utilisant que trop tard contre le parasite. Il est donc tout à fait possible d'envisager que des Viniferas, particulièrement "rustiques" vis-à-vis de divers agresseurs, aient une capacité élevée de mobilisation de leurs défenses naturelles. »