Chimiquement, qu’est-ce qui fait la différence entre un vin vendu 10 et 100 dollars ? Ce ne sont pas les composants principaux, comme l’eau ou l’alcool, mais c’est la fraction de métabolites qui fait la différence dans le positionnement prix » pose le professeur Isak Pretorius, de l’université australienne de Macquarie, ce 20 juin lors du symposium bordelais MicroWine organisé par Chr. Hansen.
Face aux quinze étudiants finalisant leurs doctorats dans le cadre de ce réseau européen de recherche, Isak Pretorius propose de se projeter dans un futur œnologique encore difficilement concevable. Le microbiologiste sud-africain voit dans la biologie synthétique un moyen de relier les connaissances chimiques des arômes à des segments marketing de consommateurs.
« La biologie de synthèse est une science émergente depuis dix ans, reposant sur la création de séquences ADN par l’homme. Les premières synthèses de génomes de bactéries ont créé les premiers micro-organismes vivants sur cette planète sans avoir d’ancêtres » explique Isak Pretorius à un auditorium captivé par sa volonté de « créer la première levure de synthèse : le moins complexe des organismes vivants complexes ».
Faisant actuellement partie d’un groupe d’étude réunissant 200 chercheurs venant de 12 laboratoires dans le monde, le microbiologiste indique que ce but est proche : sur les 16 chromosomes de Saccharomyces cerevisæ, il en reste 10 à finir de synthétiser. Les chercheurs travaillant également sur un dix-septième chromosome.


Encore à l’état de recherches fondamentales, la biologie synthétique « pourrait nous aider dans vingt ans à produire sur-mesure des pesticides biodégradables ou des médicaments personnalisés » défend Isak Pretorius. Qui verrait bien cette technologie de rupture s’appliquer à la production de vin. « Dans le vin, tout est lié à l’expérience sensorielle, de la façon dont le consommateur perçoit le produit pour acheter une autre bouteille » explique le chercheur.
Pour qui une levure de synthèse pourrait permettre d’augmenter ou de réduire une expression aromatique présente à la vigne et au chai. Le microbiologiste soulignant qu’il ne s’agit pas de créer artificiellement des arômes, mais de piloter leur expression. « Sur 6 000 gènes, il y a de gros boutons on/off pour allumer/éteindre certaines voies métaboliques afin d’obtenir les nutriments qui formeront le profil sensoriel du vin souhaité » résume Isak Pretorius.
Voilà pour la théorie concernant la biologie de synthèse en œnologie. En pratique, le seul essai actuellement réalisé sur un vin est bien plus modeste. Il s’agit de l’insertion dans une levure classique de gènes édités par des scientifiques pour produire des arômes de framboises. Si le vin de chardonnay obtenu après fermentation présente en effet des odeurs inhabituelles, cette démonstration reste encore faible par rapport à l’étendue des promesses.
Alors que cette technologie nourrit déjà de vifs débats. Balayant les enjeux bioéthiques et bioterroristes par la création d’un groupe de recherche ne créant que du savoir (disponible en open source), Isak Pretorius a plus de mal à évoquer l’acceptation par le marché de telles technologies. S’il ne s’agit pas d’OGM au sens propre (il n’y a pas d’apport de génome provenant d’un autre organisme, mais d’une création de labo), il s’agit bien de technologies interventionnistes, ce qui reviendra au même pour les consommateurs. Sans parler des réticences d’une filière marquée par la tradition…


Ce qui n’empêche pas Isak Pretorius d’être persuadé que pour l’œnologie, « la prochaine étape est la biologie de synthèse et qu’après viendra la biorobotique. Avec levures à mi-organiques et mi-robotiques : on va effacer la ligne entre ce qui est vivant et ne l’est pas ! »