Le simple fait de pouvoir recevoir, en grande pompe, plus de 330 dégustateurs venus du monde entier évaluer quelque 9 180 vins, témoigne de la maturité croissante du secteur vitivinicole et du marché chinois, et d’une volonté gouvernementale de soutenir la viticulture locale. Les vins chinois eux-mêmes étaient bien représentés parmi les échantillons en lice, avec plus de 480 vins, soit 90% de plus qu’en 2017. La Chine s’est ainsi positionnée au cinquième rang des pays participants après la France, l’Espagne, l’Italie et le Portugal ; à titre de comparaison, en 2006 lors de sa première participation elle n’a présenté que 8 vins. Plus d’un tiers des échantillons chinois cette année étaient issus de la viticulture biologique et 50 experts chinois ont figuré parmi les dégustateurs. Leur niveau de compétence a d’ailleurs été salué par leurs homologues internationaux. Enfin, les organisateurs du concours ont pu, grâce à l’esprit d’ouverture et de pragmatisme de leurs partenaires locaux – dont la municipalité de Pékin et le Beijing International Wine and Spirit Exchange (BJIWSE) – assurer une vitrine aux vins médaillés*. En effet, trois chaînes de supermarchés (7 days Fresh, 24 Hours and CSF Market) comptant 130 points de vente dans le district de Haidian, vont proposer les vins primés.
Une approche plus mesurée
Autant dire que le Concours Mondial de Bruxelles 2018 a symbolisé à bien des égards, l’évolution de la filière vitivinicole chinoise et la maturité du marché des vins en Chine. Le choix de Pékin souligne la volonté de la municipalité de s’appuyer sur la viticulture pour offrir un cadre de vie plus sain à ses habitants et la possibilité de se divertir en visitant châteaux et vignobles dans ses banlieues. Le district de Haidian, équivalent chinois de la Silicon Valley, accueille en son sein l’une des plus anciennes caves vinicoles chinoises, à savoir la Dragon Seal Winery, fondée en 1910. Le district de Fangshan, au sud-ouest de la capitale, fait l’objet d’un vaste programme de développement de châteaux viticoles avec plus de 1 000 hectares de vignes. Nonobstant ces projets pharaoniques, le secteur viticole semble être entré dans une phase de croissance plus mesurée que par le passé. D’après les chiffres de l’OIV, sa production a eu tendance à diminuer ces dernières années et les réalités économiques semblent freiner le développement fulgurant qui a caractérisé les dernières décennies.
Une superficie du vignoble largement surestimée
« Comparée à la population, la production chinoise de vins reste très petite », rappelle le professeur Li Demei, classé parmi les dix œnologues conseils les plus influents au monde. « Certes, la Chine compte le deuxième plus grand vignoble du monde, mais seuls 15% des superficies sont dédiés à la production de vins ». De quoi s’interroger sur les effets d’annonce proférés par certaines grandes structures. « Les chiffres annoncés par l’OIV sont sensationnels et font peur mais la réalité est tout autre », affirme le professeur d’université et grand spécialiste du secteur vitivinicole chinois, qui reconnaît s’appuyer sur l’expérience australienne pour piloter l’évolution de la filière chinoise. « Même si j’ai fait mes études en France, je m’inspire de ce que font les Australiens car leur secteur vitivinicole s’est également développé en très peu de temps ». Estimant le vignoble de raisins de cuve autour des 100 000/120 000 hectares actuellement, son avis est partagé par le critique français Bernard Burtschy. « La majorité des vignes produisent des raisins de table, seuls 13% sont vinifiées », déclare-t-il, ramenant la superficie du vignoble à raisins de cuve à 70 000 hectares seulement.
Il faut dire que produire du vin en Chine relève bien souvent de l’exploit. Le climat s’y prête difficilement, entraînant des coûts de production élevés. « La filière chinoise doit surmonter des barrières climatiques et saisonnières », reconnaît Li Demei. « En été il fait chaud mais il pleut aussi beaucoup. Près de la moitié des précipitations tombent au moment de la véraison ». Le caractère rude du climat exclut la plantation de vitis vinifera dans le nord-est du pays, qui privilégie de ce fait des hybrides et la production de vins de glace, tandis qu’ailleurs les vignes doivent souvent être enterrées pour les protéger pendant l’hiver. « Le fait d’enterrer et de déterrer la vigne coûte aussi cher que l’ensemble des coûts annuels en Europe ». A ce manque de compétitivité, il convient d’ajouter la longévité moindre des vignes enterrées et la complexité des travaux viticoles post-vendange : « Il faut intervenir rapidement pour tailler les vignes et les enterrer avant l’hiver », souligne-t-il. Avec une pluviométrie qui ne dépasse pas 250 mm par an dans des régions viticoles comme Ningxia, l’irrigation s’impose, limitant ainsi le choix d’implantation de vignobles à des zones traversées par des fleuves ou bien bénéficiant de la fonte des neiges. Enfin, les vignobles étant délimités selon les frontières administratives, la bureaucratie complexifie encore la tâche des vignerons. Résultat : des coûts de production moyens estimés par Bernard Burtschy à 1,72 € la bouteille, malgré un coût horaire de main d’œuvre de seulement 1,50 €. Le niveau de vie, et donc les revendications salariales des Chinois étant amenés à progresser, la qualité semble être la voie à privilégier par la filière locale.
L’importance du prestige français
Si le vignoble est actuellement tourné vers la quantité, avec un rendement moyen de 96 hectolitres à l’hectare (mais qui atteint 186 hl/ha à Henan), le critique français voit des signes avant-coureurs d’une évolution vers la qualité, citant la montée en puissance de petites unités avec un vignoble en propre, de plus en plus souvent en bio, offrant une traçabilité totale, des vins de qualité et un marketing individualisé. Le lancement de vins estampillés Moët Hennessy – Ao Yun – contribuera sans doute à valoriser et à encourager les efforts qualitatifs, même si l’expérience du groupe de luxe français en Chine n’a pas été sans heurts. Son premier millésime, le 2013, a été commercialisé à une quinzaine de milliers de bouteilles à un tarif (environ 300 euros la bouteille) qui reflète à la fois le prestige de la maison en Chine et la complexité de la production de vins dans le sud-ouest de la Chine, près de la ville mythique de Shangri-la. « L’œnologue australien chargé du projet, Tony Jordan, m’a demandé quel était le meilleur terroir pour implanter un vignoble de haut de gamme en Chine », se remémore Li Demei. « Je lui ai dit que pour établir un vignoble rapidement opérationnel il fallait privilégier Ningxia, car le gouvernement local soutient la viticulture et la proximité de Pékin facilite la logistique. En revanche, si la question de l’argent ne se pose pas, le Sud-Ouest offre un terroir de choix ». Moët Hennessy a déboursé 2 millions de RMB pour réaliser des études de sols en 2008 et compte aujourd’hui deux vignobles, le deuxième, axé sur les effervescents, étant situé à Ningxia.
Les zones les plus qualitatives restent à identifier
Pour l’heure, la faible antériorité viticole moderne de la Chine ne permet pas d’identifier les zones les plus qualitatives du pays, estime le professeur Li Demei. « Ningxia, par exemple, produit du vin depuis moins de 40 ans. Il est impossible de déterminer encore le niveau qualitatif de chaque région viticole et la meilleure adéquation entre le cépage et le terroir. Chaque région a forcément un cépage qui permet d’exprimer au mieux le terroir mais pour l’instant les producteurs chinois sont toujours en phase d’apprentissage ». Pour Bernard Burtschy, la qualité des terroirs est bien réelle. « Dans la région de Ningxia, où la pluviométrie est insuffisante mais le fleuve jaune permet d’irriguer, il existe 800 000 hectares très adaptés à la vigne ». Avec un marché domestique qui continue de s’élargir et de gagner en maturité, l’avenir de la filière vitivinicole chinoise semble assurer mais ne sera sans doute pas un long fleuve tranquille.
*Les résultats du concours seront publiés sur le site www.concoursmondial.com dès le 25 mai. La prochaine édition du Concours Mondial de Bruxelles aura lieu à Aigle en Suisse, du 2 au 5 mai 2019.