quivalent national du thé anglais et du café italien, l'infusion de feuilles de rooibos* est typiquement sud-africaine. L'utilisation œnologique des branches de rooibos n'est en que plus surprenante. Si l'infusion de sachets de tisane est interdite en vinification, les bois de ce buisson montagneux seraient une véritable alternative aux copeaux de chêne et même à l'ajout de sulfites : antioxydants obligent, si l'on en croit Trevor Strydom, le propriétaire du domaine Audacia (Stellenbosch).
Et en la matière, il n'y a pas d'autres alternatives que de croire l'homme à l'origine de cette folle idée, puisqu'il veille à son secret. Ou du moins au strict respect des clauses de confidentialité encadrant l'utilisation brevetée du bois de rooibos dans la production de bières, cidres et vins (cliquer ici pour en lire la version publiée au début de l'année). Si le procédé est verrouillé, Trevor Strydom assure que la méthode a bien été validée par des laboratoires de recherche (l'université d'œnologie de Stellenbosch et l'ARC Infruitec-Nietvoorbij), qu'elle bénéficie du soutien de producteurs de rooibos (Cape Natural Tea Product), de la première cave coopérative sud-africaine (KWV) et même des producteurs de bières et de cidres (respectivement Stellenbrau et Windermere).
Aujourd'hui peu d'éléments d'Å“nologiques sont donc disponibles. On sait juste qu'il est conseillé d'utiliser une dose de 5 g/l pour un mélange de bois d'Aspalathus linearis (le nom scientifique du rooibos) et de Cyclopia genistoides (ou honeybush, une fabacée également utilisée en tisane). Endémiques du fynbos sud-africain, ces deux plantes sont gorgées de flavonoïdes et de composés aromatiques. Les vins recevraient les propriétés antioxydantes des polyphénols et verraient leurs arômes gagner en vanille, fumé et poivre noir. Ce qui permet au vinificateur de s'affranchir des sulfites et dérivés du bois (staves, copeaux...), ainsi qu'aux équipes marketing de donner naissance à une nouvelle catégorie de vins : « boisés au rooibos », « sans additifs ni conservateurs » ou « naturellement protégé ».
Ayant déposé un brevet et une volée de marques (Rooibos Wine, Rooibos Beer...), Trevor Strydom travaille actuellement à la stratégie de mise sous licence de son procédé. Il y voit une opportunité marketing sans précédent pour les vins sud-africains. Après des essais concluants sur le millésime 2012, la première cuvée commerciale utilisant ce procédé a été produite en 2013 par Audacia : un vin de cépage merlot (mis en contact pendant 8 mois avec le mélange rooibos/honeybush). Le produit serait commercialisé depuis plus d'un an avec succès (en Afrique du Sud et en Chine). Audacia prévoit le lancement de cuvées de cabernet sauvignon et de syrah. Aujourd'hui, seul KWV commercialise également un pinotage utilisant ce procédé (la cuvée Earth's Essence).
* : soit «buisson rouge » en afrikaans. Cette plante ne pousse que dans une région du Cap, celle du Cederberg.
[Photo de Trevor Strydom : Audacia Winery]