« Il est minuit !!! Des milliards de dollars de tarifs coulent maintenant à flot dans les états-unis d'Amérique » annonce le président américain Donald Trump cette nuit. Car depuis ce 7 août minuit aux États-Unis, soit ce matin 6 heures en Europe, les droits de douanes américains sur la majorité des produits européens passent des 10 % fixés en avril à 15 % % (après avoir été de 0 % depuis 1997). Les vins et spiritueux compris, les espoirs de négociation entre Bruxelles et Washington pour les inclure dans les exemption de droits réciproques (le zéro pour zéro) n'ayant pas abouti malgré les demandes répétées (et renforcées depuis l'annonce le 27 juillet d'un accord commercial entre les États-Unis et l'Union Européenne pour éviter une escalade annoncée à 30 %). « La Commission européenne reste déterminée à obtenir le maximum d'exemptions du plafond tarifaire de 15 %, y compris pour les produits traditionnels de l'Union Européenne, tels que les vins et spiritueux » indique à Vitisphere ce 7 août Olof Gill, le porte-parole pour le commerce à la Commission Européenne, ajoutons que « nous continuons de collaborer avec les États-Unis pour atteindre cet objectif ».
En attendant une déclaration commune de Bruxelles et Washington pour permettre des négociations élargissant le périmètre des produits européens exemptés, c'est l'heure de vérité pour les exportateurs les plus exposés au marché américain (première destination des vins français en 2024 avec 19,5 millions de caisses de 9 litres pour 2,3 milliards ?). En Bourgogne par exemple, les 15 % « risquent de mettre un coup de frein aux exportations » résume le vigneron chablisien Thierry Mothe, secrétaire général des Vignerons Indépendants de France. Notant qu'« il nous fallait un accord, comme on était dans une forme d'interrogation depuis deux mois » et que « même si ce n'est pas un très bon accord, il en fallait un pour avancer », Thierry Mothe indique que désormais dans le vignoble « on va avoir des commandes qui reviennent, chacun va pouvoir établir ses tarifs et on verra les volumes de commande. On rentre maintenant dans la réalité du commerce. »
Qui va payer ?
Concrètement, la question est de savoir qui va prendre en charge ces 5 % supplémentaires. « D'ores et déjà, quand il y avait 10 % nous avions décidé avec mes importateurs de les répartir en 3,5 % pris par le producteur, l'importateur et le consommateur » rapporte Thierry Mothe, notant qu'avec les congés d'été, c'est actuellement le calme plat, mais il a déjà une certitude : « je ne peux pas assumer une nouvelle perte de marge. Une partie devra être à la charge du consommateur et une autre pour l'importateur. Cela va restreindre les volumes commercialisés, comme il va y avoir une augmentation non négligeables des prix. » Pour le vigneron de Chablis, c'est une évidence qu'il faut rappeler : « on ne peut pas travailler à marge négative sur le long-terme. Cela peut peut-être tenir au début, tant que l'on n'aura pas trouvé d'autres marchés pour compenser, mais on ne peut pas subir longtemps une baisse de marges ou des marges négatives. »
Dans l'immédiat, « on va rester dans le flou » résume Thierry Vaute, le président des Vignerons Indépendants du Vaucluse. « On est toujours suspendus à la propension qu'aura l'Europe à arracher le zéro pour zéro des vins » explique le vigneron des Beaumes-de-Venise, qui souligne que « la situation est délétère. On peut se dire que +15 % n'est pas énorme, mais cette problématique se télescope avec une période inflationniste où le dollar est faible, ce qui revient à +30 % sur les prix. Quand bien même vous fournissez un effort sur votre marge pour réduire les +15 % avec l'importateur, le consommateur américain paie 15 % plus cher avec l'inflation. Avoir une telle augmentation ne va pas arrêter les achats, mais va les réduire. »


Si des achats de précaution ont eu lieu début 2025 quand il n'y avait pas de droit et que des commandes ont pu être passées pendant la période à 10 % de droits, les cas étaient très divers selon les importateurs pondère Thierry Vaute, qui garde une lueur d'espoir : « les États-Unis ont la particularité US d'avoir la capacité de rebondir très rapidement. Cela peut nous sauver si leur économie reprend d'un coup. » En attendant, le coup s'annonce rude sur les ventes des exportateurs vers le marché américain, qui vont devoir trouver de nouveaux marchés : « ils vont se redéployer sur d'autres destinations que les États-Unis et vont venir en concurrence avec les entreprises qui n'y exportaient pas. On va se concurrencer entre nous. D'un coup, il va y avoir un vague de vins arrivant sur d'autres destinations, alors que les marchés ne sont pas prêts. Alors que l'Europe a besoin de créer des richesses, il faut aider les secteurs performants pour qu'ils continuent de surperformer. Il est plus facile d'augmenter ce qui est en place plutôt que de créer de nouveaux secteurs. »
Désavantage concurrentiel
De quoi appuyer la demande de négociations rapides et fructueuses entre Bruxelles et Washington sur l'exemption des vins et spiritueux. Dans un communiqué ce 7 août, Spirits Europe « regrette que l'accord politique Union Européenne-États-Unis n'ait pas, pour l'instant, permis de rétablir le cadre "zéro pour zéro" pour les spiritueux, attendu depuis longtemps ». Ce qui créé un sentiment de loupé pour Hervé Dumesny, le directeur général de Spirits Europe, notant que « si nous remercions la Commission européenne pour ses efforts continus visant à inclure les spiritueux dans la liste des exemptions, l'incapacité à rétablir le "zéro pour zéro" pour nos produits constitue une occasion manquée. L'application continue des droits de douane américains sur les spiritueux européens, désormais de 15 %, place nos produits dans une situation de désavantage concurrentiel important, limite le choix des consommateurs et compromet l'investissement et la croissance de notre secteur des deux côtés de l'Atlantique. » Les vins argentins, australiens, chiliens et néo-zélandais restent ainsi à 10 %, comme les whiskies écossais.