’appliquant depuis 8 décembre 2023, la nouvelle réglementation européenne d’étiquetage des ingrédients et informations nutritionnelles sur les étiquettes des bouteilles de vin a vu fleurir les solutions de génération de QR Code, donnant accès aux consommateurs à de nouvelles informations sur la composition des cuvées dès le millésime 2024 et permettant de chiffrer les usages d’additifs œnologiques. S’il y a eu du stress et des soupirs dans la filière des vins français pour mettre en œuvre cette nouvelle réglementation européenne (voir encadré), « dans l’ensemble, la compréhension de la réglementation, de ses implications et des outils disponibles progresse, mais reste encore incomplète. De nombreuses questions persistent sur le terrain, notamment en raison d’un manque de clarté ou d’interprétations variables des textes, surtout sur le calcul [des informations nutritionnelles] » partage Daniel Beruben, le PDG de Grapetrack.
Infos QR Code
Extrayant les données de 1 500 cuvées (produites en Occitanie, Provence, Vallée du Rhône et Alsace) de vins (36 % de vins blancs, 35 % de rouges et 20 % de rosés), le fournisseur de QR Code dresse le palmarès des additifs les plus utilisés. Sans surprise, on trouve en première position le puissant antioxydant et antiseptique qu’est le dioxyde de soufre (SO2, 55 % des vins étudiés). Suivent l’inhibiteur de précipitation tartrique qu’est l’acide métatartrique (39 %), puis le gaz d’inertage qu’est le dioxyde de carbone (18 %), l’acidifiant qu’est l’acide tartrique (17 %), le stabilisant et enrobant qu’est la gomme arabique (13 %), les agents d’enrichissement que sont le Moût Concentré Rectifié (MCR, 7 %) et le saccharose (3 %)… Ainsi que des ingrédients mineurs à moins de 2 % : le caramel pour colorer, l’acide fumarique pour prévenir le développement des bactéries lactiques, l’argon pour inerter, l’acide L-ascorbique pour prévenir l’oxydation, le métabisulfite de potassium pour apporter du SO2…
Des chiffres affinés et complétés par les encore plus conséquentes données nationales d’Isagri (propriétaire du Groupe France Agricole dont Vitisphere est une filiale), dont 1 500 utilisateurs du logiciel Isavigne (sur 7 000 en France) qui ont généré 10 000 pages d’ingrédients (et autant de QR Codes). Le premier ingrédient reste le dioxyde de soufre (54 %), suivi par le bisulfite de potassium (27 %), l’azote (24 %), l’acide métatartrique (22 %), l’acide tartrique (19 %), la gomme arabique (18 %), la CarboxyMéthylCellulose (CMC, 16 %), l’acide L-ascorbique (12 %), le sorbate de potassium (10 %), le dioxyde de carbone (8 %), le métabisulfite de potassium (8 %), les MCR (5 %), l’acide malique (4 %), le polyaspartate de potassium (4 %), l’acide citrique (3 %), l’alcool neutre (3 %), la liqueur d'expédition (3 %), l’acide lactique (2 %), la liqueur de tirage (2 %), les mannoprotéines de levures (1 %)… Et à moins de 1 % le sulfate de calcium, les lysozymes, le Dicarbonate de diméthyle (DMDC), les distillat de vin, l’argon, le caramel, la résine de pin d’Alep et l’acide fumarique.
Tannins et boisés exclus
Sachant que « les ajouts de tannins ou solutions boisées ne font pas partie de la liste des ingrédients » précise Marc Le Déaut, responsable de produit chez Isagri. Tanins et boisé « sont des auxiliaires technologiques non considérés comme ingrédients et non obligatoires à mentionner » confirme Daniel Beruben, pointant que « les tannins œnologiques utilisés comme additifs pour la stabilisation ou la correction organoleptique peuvent être mentionnés sous leur catégorie fonctionnelle + nom spécifique. Pour les solutions boisées (copeaux, extraits, etc.), tant qu’il s’agit de pratiques œnologiques autorisées et qu’aucun composé additif allergène n’est encore présent dans le vin, il n’y a pas d’obligation de mention. »
Pas vraiment la philosophie d’Adrien Tréchot, le fondateur du générateur d’informations d’ingrédients et de nutrition Dansmabouteille (2 400 utilisateurs, dont 20 % optant pour l’étiquetage sur la bouteille) qui milite pour la plus grande transparence aux consommateurs, avec la liste complète des ajouts œnologiques au vin, mais aussi les chiffres des taux de sulfites, l’acidité totale, le pH, les analyses de résidus de pesticides… Parmi ses clients, son top 5 des additifs du vin sont les sulfites, l’acide tartrique, la CMC, l’acide métatartrique et la gomme arabique. Directeur d’Enosens Coutras (Gironde), l’œnologue conseil Pascal Hénot, estime qu’à Bordeaux les ingrédients les plus utilisés sont de loin les sulfites (dioxyde de soufre, bisulfite de potassium et métabisulfite de potassium), suivis plus loin par la gomme arabique, l’acide métatartrique, la CMC, et encore plus loin par l’acide tartrique, l’acide citrique, le sorbate de potassium, l’acide ascorbique, les mannoprotéines de levures, le polyaspartate de potassium, l’azote… « Il n’y a pas tant que ça d’ingrédients à Bordeaux » estime-t-il, ajoutant qu’il « ne pense pas que ça change ».


Ce qui n’est pas le pressentiment de Gwenaël Thomas, le dirigeant associé du Laboratoire Natoli (Hérault). « Concernant les ingrédients utilisés, il y a surtout la tendance à essayer d'éviter d'indiquer l'acide métatartrique et les gommes arabiques, ce qui permet alors de n'assumer que le SO2 » rapporte l’ingénieur agronome et œnologue languedocien, pointant que « ce n'est pas du tout généralisé comme attitude. Finalement, ce sont les prochaines vendanges qui vont nous donner le tempo sur cette question. Les producteurs ont maintenant pleinement conscience des enjeux d'affichage des ingrédients. » Si le traitement par le froid ou l'électrodialyse permettent de se passer d’acide métatartrique (avec des coûts écologiques et économiques plus conséquents), « plutôt que d'utiliser les alternatives, il y a plutôt la tendance pour certains à réduire tout simplement leurs intrants. Jusqu'au moment où ils auront la surprise de l'apparition de certaines instabilités. Les fameux "dépôts" dans les fonds de bouteille risquent de ressurgir. Les consommateurs vont-ils suivre ? » se demande Gwénaël Thomas.
Le dirigeant de laboratoires lance, pince sans rire, que « le mieux que la profession puisse espérer, c'est que personne ne se préoccupe du QR-code et que les ingrédients du vin deviennent monnaie-courante dans l'imaginaire collectif » alors que « la grande part de vignerons qui n’utilisent que peu d’intrants, mais qui ne veulent tomber non plus dans le "sans rien", se retrouvent en quelques sortes pris en flagrant délit d’utilisation d’ingrédients, alors qu’ils ont toujours privilégié de rester à côté des débats très orientés et culpabilisateurs des vins nature. Donc voilà, maintenant il leur reste à assumer ou à tenter de les enlever. Franchement, l'avis de l'œnologue, c'est de conserver ces ingrédients, peu coûteux, et tout à fait efficaces. Il serait assez frustrant de voir dans un ou deux ans une recrudescence de dépôts de tarte dans les bouteilles, des retours de consommateurs insatisfaits (ou des pressions des intermédiaires). »
Taraudant la filière vin, la question de la consultation des QR Codes par les consommateurs reste incertaine. Pour Grapetrack, Daniel Beruben pointe qu’un site dédié permet de suivre « en temps réel le nombre de scans pour les 20 fiches vins les plus consultées. Si les volumes peuvent paraître modestes en comparaison à ceux de la grande distribution, ils traduisent en réalité un taux d'engagement élevé dans les circuits courts : salons, ventes directes, cavistes ou œnotourisme, là où ces bouteilles trouvent souvent leur public. » Pour le fournisseur, le « QR code est bel et bien utilisé par les consommateurs, surtout lorsqu’il est valorisé sur l’étiquette ou dans le discours du domaine. Le potentiel de ce canal est réel, surtout lorsqu’il est bien intégré au storytelling du domaine (via notre bouton "En savoir plus". » La Répression des Fraudes venant d’autoriser les vins à ajouter un bouton "En savoir plus" à la fin de la liste des ingrédients et de la déclaration nutritionnelle dématérialisées pour renvoyer les consommateurs vers des contenus marketing.
Si « le QR Code doit porter les informations nutritionnelles et d’ingrédients, la Commission Européenne interdit d’inciter à l’achat du produit sur cette page réglementaire » rappelle Barbara Iasello, cheffe de marché vin pour GS1, indiquant que la clarifications de la DGCCRF rend possible la communication en France : « il faudrait page une intermédiaire pour avertir le consommateur qu’il quitte les informations réglementaires pour passer aux contenus de marketing ». Sachant que GS1 prépare l’arrivée d’un nouveau standard international : une QR Code remplaçant les codes-barres, qui pourrait à la fois être scanné par le consommateur, pour avoir des informations sur le produit, et en caisse, pour le paiement. Le carré pixelisé du QR Code n’en serait alors qu’à ses balbutiements sur les contre-étiquettes de vins.
Les coups de stress dans le vignoble n’ont pas manqué avec la mise en œuvre perçue comme soudaine sur le millésime 2024 des nouvelles règles d’étiquetage. « J’ai été surpris par l’impréparation de la plupart des producteurs » rapporte Pascal Hénot, notant que si les laboratoires œnologiques se préparait et anticipaient dès la fin 2023 cette évolution réglementaire, les clients ont été peu intéressés par le sujet avant leurs premières mises en bouteille de rosés et blancs fin 2024 : « ce sont leurs imprimeurs qui les ont alertés sur le besoin de QR Code. Même aujourd’hui, des producteurs de vins rouges viennent nous poser des questions en découvrant le sujet. » Il faut dire qu’« entre les tensions économiques et les enjeux géopolitiques, ce n'était pas une priorité pour la filière vin » met en perspective Barbara Iasello, notant que « pas mal de petits vignerons ne sont pas trop au courant de cette réglementation et de son application dès la vendange 2024 ».
Alors que les services de la DGCCRF annoncent mener des contrôles de pédagogie et de mise en conformité de l’étiquetage des ingrédients, Adrien Tréchot rapporte que parmi ses clients, « dans l’ensemble ils étaient tous réfractaires. Et aborder ce sujet au début avec eux c’était toujours s’exposer à des remarques "comme ça me fait chier votre truc". Cet état d’esprit fait que nombreux producteurs n'ont pas appliqué cette affichages sur leurs toutes premières cuvées 2024. Un peu comme un acte de contestation. J’ai entendu beaucoup de producteurs me dire "pour cette cuvée je ne l’ai pas fait..." »
Et pour ceux ayant mis un premier QR Code sur leurs étiquettes, il y avait des erreurs parfois amusantes relève Daniel Beruben : « impression d’un QR code avec des valeurs nutritionnelles ne correspondant pas à la fiche réelle (souvent liée à un changement de cuvée non répercuté), ajout de texte ou de graphisme sur le QR code, empêchant sa lecture correcte, tentative de placer le QR code uniquement sur le site internet du domaine, sans impression sur la bouteille, ajout d'une photo test comme un arbre la page des infos nutritionnelles. Aujourd’hui, ces cas sont bien identifiés et de plus en plus rares. »