’est le difficile problème qui taraude la filière vin : comment fermer le robinet des vins vendus à très bas prix en grande distribution, dont l’affichage à moins de 2 € la bouteille fait perdre tout repère de valeur, alors que les enseignes profitent d’un marché déséquilibrée et de la fragilité de structures, à la production comme au négoce, qui ont besoin de trésorerie et vident leurs stocks à n’importe quel prix ? Comment faire filière, solidaire et robuste ? Selon le Code civil, « la solidarité ne se présume point ; il faut qu'elle soit expressément stipulée ». En période de crise viticole, l’occasion est donnée de créer un nouvel outil solidaire entre vigneron : entre devoir de cotisation et droit de valorisation, le projet porté par Fabien Castelbou, le nouveau président de la section des Vignerons Coopérateurs d'Occitanie, se veut aussi ambitieux qu’inédit à l’échelle du vignoble du Languedoc-Roussillon. « Nous voulons mettre en place un fonds de mutualisation » résume le viticulteur de Cournonsec (Hérault), qui a présenté cette idée lors du dernier conseil de bassin viticole du Languedoc-Roussillon cette mi-juillet, après des mois de travaux, notamment portés par son prédécesseur, Ludovic Roux, qui avait ouvert les travaux lors d’un comité de bassin en 2024.
Faisant le constat d’une « problème de valorisation faible dans la filière », Fabien Castelbou porte un projet collectif innovant : « nous voulons nous prendre en main avec un gros travail sur les 5 % de vins sans marché qui pèsent sur les prix des 95 % restants. Avec un fonds de mutualisation et des cofinancement publics, on pourrait abonder les marchés des sous-produits et le chiffre d’affaires généré pour la filière serait plus fort. » En somme, mieux vaut vendre un petit volume à petit prix plutôt que de tout voir baisser.
Outil d’urgence
Devant être travaillé de façon opérationnelle (et politique pour avoir un consensus de la filière viticole), cet outil de gestion de l’offre mise sur un calcul des besoins du marché pour estimer les commercialisations avant les vendanges (comme cela peut se faire en Champagne ou à Cognac) et le confronter après la récolte aux volumes récoltés dans le Midi : le différentiel constituant un volume à réorienter collectivement pour ne pas peser sur le marché. Dès qu’il y a une surproduction avérée, le fonds de mutualisation permettrait d’agir le plus vite possible pour envoyer vers des marchés industriels les excédents qui risquent de dévaloriser l’ensemble du marché, sans attendre d’hypothétiques opérations de distillation de crise ou de campagnes d’arrachage qui mettent des mois à se concrétiser.


L’option du fonds de mutualisation diffère des réductions de rendement ou des limitations de commercialisation s’appliquant à tous les opérateurs sans distinction, afin de ne pas pénaliser ceux ayant des marchés valorisés, et d’inciter ceux en difficulté à se délester autrement de pesants volumes. « Plutôt que dire que tout opérateur met un pourcentage de ses vins en dehors du marché, nous envisageons une cotisation unique pour chaque hectolitre produit. La seule obligation, c’est la solidarité » indique Fabien Castelbou, notant que les modalités ne sont pas fixées, mais pointant qu’ainsi la cotisation aurait un poids d’autant plus fort quand le prix de vente du vin serait moins valorisé, incitant les vins à faible valorisation à être réorienté, tout en faisant participer les cuvées premiumisées : « l’outil a vocation à protéger tous les segments, en cascade. Personne n’est à l’abri quand les prix dévissent à la base de la pyramide. »
MCR, jus de raisin, biocarburants…
S’il faut encore mettre au point une cotisation acceptable réglementairement (avec les administrations françaises et européennes) et politiquement (pour toute la filière du Midi viticole), il faut également trouver des débouchés valorisés aux volumes excédentaires. « On veut relancer la production française de Moût Concentrés Rectifiés (MCR). Les MCR français sont très prometteurs pour réguler offre. Et pourquoi pas étudier la production de jus de raisin, voire la distillation pour la carburation, même si leurs prix ont été compressés. Conformément au plan national de filière, on doit aussi travailler au développement d’autres produits issus du raisin » esquisse le président des Vignerons Coopérateurs d'Occitanie, qui rapporte des retours positifs de ses présentations aux caves coopératives et compte travailler sur ce projet avec les distilleries.
Pouvant donner un « moyen de saper le sourcing des vins à bas prix qui sabotent la création de valeur », Fabien Castelbou défend un outil qui « pourrait être perçu comme une assurance au maintien des cours du vin » afin d’« éviter la perte de valeur et les contrats à bas prix lorsque de grosses récoltes arrivent ». Se souvenant du yoyo entre la spéculation sur la petite récolte 2021 et la chute des cours après les gros rendements 2022, le viticulteurs héraultais reconnaît que l’historiquement basse vendange 2024 n’a pas relancé la valorisation du vin en vrac : « le niveau national des stocks est trop important. On a une crise de vente historique dans tous le pays. C’est du jamais vu dans ces proportions. Même la très petite récolte n’a pas permis de raffermir les cours. » Ne s’avançant pas sur une application ce millésime 2025 de ce fonds de mutualisation, Fabien Castelbou espère que la filière languedocienne soit mure pour avancer sur cet outil de pilotage de l’offre.


Sachant que d’autres outils sont en développement pour aider la filière viticole. Notamment le prix d'orientation des vins certifiés bio/HVE en IGP Pays d’Oc pour six cépages, également travaillé par la coopération viticole. Validé par la Commission Européenne, « c’est un outil dont il faut se saisir, qui est né de réflexions lors des manifestations de l’an dernier. On parlait beaucoup de prix plancher, qui peut avoir beaucoup d’effets collatéraux négatifs, il nous semblait plus judicieux de parler prix au sein de l’interprofession » note Fabien Castelbou, qui attend dès l’après-vendange qu’une commission interprofessionnelle se réunisse « avec les données économiques pour échafauder des prix d’orientation prenant en compte l’économie ». Il y aura soit un accord interprofessionnel sur ces prix d’orientation, soit une proposition de la part de la production (si les metteurs en maché ne sont pas d’accord). L’objectif étant de donner une référence de prix pour maintenir les surfaces certifiées en bio et HVE explique le président des coopérateurs occitans : « sans prix rémunérateur, il y aura une déconversion massive. Il faut maintenir l’effort, les entreprises sont trop nombreuses à ne pas atteindre la rentabilité à cause du climat, des coûts de production (encore plus élevés pour les démarches environnementales…). Il faut casser la spirale des prix indécents, qui n’est bon pour personne, négoce compris qui se retrouve face à une concurrence déloyale » du moins-disant.
D’autres mesures sont à l’étude, comme le prix recommandé pour les AOP et IGP, la révision de la loi Egalim, la mise en place d’Organisations de Producteurs (OP), sans oublier plan d'arrachage couplé à de la distillation, ni la contractualisation des vins... Et la mise en œuvre du plan de filière de la région Occitanie, qui prévoit notamment la mise en place d’un observatoire économique de la filière vin. « L’accord durabilité, la gestion de l’offre et le pilotage de la filière sont des outils inédits dans notre région » souligne Fabien Castelbou, qui espère que ces actions éviteront de nouvelles dégradations de l’économie vigneronnes et sa transcription en manifestations cette fin d’année. « L’économie doit s’effacer derrière la politique quand elle n’est pas défaillante, sinon la politique reprend le dessus et on peut aller vers de nouvelles manifestations. Personne n’a rien à gagner à ce que colère s’exprime dans la rue. Il faut remettre en place une économie solide » plaide le viticulteur.
Selon le Code Civil, « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »