éritable « détonateur » d’une « colère froide et sourde » dans le vignoble, l’annonce de l’aide européenne de 15 millions € au bénéfice du développement de l’inclusivité de la filière vin d’Afrique-du-Sud est « le déclencheur qui fait ressurgir l’exaspération globale sur le terrain » rapporte Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons Indépendants de France, pour qui « cela faisait longtemps que je n’avais pas ressenti une telle réaction, avec autant de virulence et de ras-le-bol. Il n’y a pas une région viticole qui ne se manifeste pas contre cette subvention d’un secteur concurrent du notre et non-membre de l’Union. Tout ça doit donner l’occasion à la Commission de se recentrer sur les actions pour son secteur qui doit être aidé et soutenu. Il faut replacer la Commission au milieu de l’Europe. »
Mais qu’en dit-on à Bruxelles ? « Le programme de soutien de la Commission européenne à la transformation du secteur des vins et spiritueux en Afrique du Sud vise à promouvoir l'égalité des chances pour la population sud-africaine dans ce secteur, en apportant un soutien aux petits agriculteurs historiquement défavorisés » indique à Vitisphere un porte-parole de la Commission européenne, ajoutant que « le financement accordé n'a pas pour objectif de développer le secteur des vins et spiritueux en Afrique du Sud, mais de favoriser l'inclusion dans ce secteur économique ». Précisant que les 15 millions € ont été engagés en 2019 et sont toujours en cours d’utilisation par le gouvernement sud-africain (avec un appel à projet lancé ce 19 juin par la banque sud-africaine du développement rural), la Commission ajoute qu’il n’y a pas d’autres projets d’aides à l’Afrique du Sud. Ces aides s’inscrivant dans l’accord commercial entre Bruxelles et Pretoria signé en octobre 1999, incluant dans son volet vin signé en janvier 2002 un quota d’importation (fixé à 119 millions de litres de vins sud-africains entrant en Europe sans droits de douane pour 2024) et un engagement financier de 15 millions € (pour la diversification des profils de la filière en Afrique du Sud, avec des opérateurs féminins et de couleur*).


Ce qui s’apparent à une aide au développement commercial sud-africain réagit Jean-Marie Fabre, pointant que les opérateurs français aimeraient profiter de fonds supplémentaires pour conquérir des marchés. « Est-ce qu’il y a un pilote dans l’avion ? Pour qui roule la Commission ? Pas pour le secteur stratégique et capital dans plusieurs pays que sont les vin et spiritueux. Est-ce qu’il y a une décision de privilégier d’autres secteurs ? » lance le vigneron de Fitou (Aude). Des présidents de fédérations régionales lui disent que la Commission « est passée de la provocation à la trahison. En mars, la Commission a surexposé les vins et spiritueux dans les tensions avec les États-Unis » rappelle Jean-Marie Fabre. Qui fait référence à la présence de vins et spiritueux américains dans les mesures de rétorsion de Bruxelles aux taxes de Washington sur l’acier européen : ce qui avait entraîné la menace des 200 % de droits de douane sur les vins et spiritueux français par le président Donald Trump.
« Quand il y a un combat géopolitique, on expose et fragilise notre secteur avec une cible dans le dos pour sauver d’autres secteurs. Dans le moment compliqué que traverse la filière, face aux difficultés conjoncturelles et structurelles, nous avons besoin que la Commission agisse vite, fort et rapidement » estime Jean-Marie Fabre, pour qui les évolutions réglementaires européennes pour la filière, le paquet vin, sont « à mobiliser tout de suite et pas au rythme européen dans plusieurs mois. La Commission doit débloquer les budgets de réserve de crise pour la soustraction de surfaces ou de volumes [NDLR : par arrachage définitif ou distillation de crise], consolider les entreprises en conquête de marché et renforcer leurs trésoreries, tout en se mobilisant en soutien aux aléas climatique. »
Chouchou de Bruxelles ?
Dans les couloirs de la Commission Européenne, on estime jouer à plein le soutien à la filière vitivinicole, évoquant les 270 millions €/an issus de la Politique Agricole Commune (PAC), mais aussi les 235 millions € d’aides lors de la crise Covid. À Bruxelles on en est certain, « la France a été de loin le principal bénéficiaire financier des mesures de crises adoptées par la Commission ces dernières années ».
* : L’organisme South Africa Wine détaille que « le financement, évalué à 15 millions d'euros, contribuera à stimuler la croissance inclusive, à débloquer de nouvelles opportunités commerciales et à soutenir le développement de marques, d'exploitations agricoles, de formations et d'entreprises appartenant à des Noirs dans la chaîne de valeur du vin et des spiritueux (à base de raisin, tels que le brandy) ».