onnaissez-vous la cuvée du Diable ? Ou la cuvée MC, en référence au maître de cérémonie de la culture hip-hop ? Ou bien encore le BDN ? Ce sont tous des vins vinifiés en blanc de noirs.
Xavier Vignon, propriétaire d’un domaine de 37 ha à Châteauneuf-du-Pape, n’en est pas à son coup d’essai. Dix ans après le succès de son premier blanc de noirs, il fête cette année le lancement de sa deuxième cuvée Le Diable, un 100 % mourvèdre estampillé vin de France.
« En août 2012, lorsque j’avance la récolte des grenaches, mourvèdres et syrahs pour soulager des pieds de vigne de la sécheresse, je n’imagine pas l’impact commercial qu’aura cette décision agronomique, confie-t-il. En vendangeant une partie de mes raisins en sous-maturité phénolique, je sais qu’ils ne pourront pas servir à élaborer des vins rouges, mais j’ignore encore qu’ils permettront un jour de vinifier un blanc de noirs. Cette année-là, je vinifie ces jus, certains en blanc et d’autres en rouge, et les assemble ensuite pour acidifier les blancs et les rouges aux degrés trop élevés. C’est seulement en 2015 que je me lance dans la production d’un châteauneuf-du-pape blanc de noirs. » Le succès est au rendez-vous. Xavier Vignon vend aujourd’hui 15 000 bouteilles par an de cette cuvée dénommée Almutia Clair-Obscur et compte désormais un deuxième blanc de noirs dans son offre.
Au Château Haut-Garriga à Grézillac, en Gironde, le blanc de noirs est né du goût du propriétaire, Maxime Barreau, pour les challenges. « J’aime créer des vins atypiques, susciter la curiosité des consommateurs. C’est dans cet esprit que je lance en 2017 un vin orange. L’engouement commençant à s’estomper, en 2023 je décide d’élaborer un blanc de noirs. Un 100 % cabernet franc baptisé MC. »
Déjà équipé d’un pressoir pneumatique de 100 hl et de cuves thermorégulées pour vinifier ses 15 ha de blancs, Maxime Barreau n’a pas eu besoin d’investir pour concevoir cette nouvelle cuvée. Le plus fastidieux a été le choix de la parcelle parmi ses 6 ha de cabernet franc. « J’ai finalement opté pour un hectare d’une quarantaine d’années planté au pied du château, ce qui me permet de suivre presque quotidiennement la maturité des raisins en vue de les récolter au meilleur moment. La première année, j’ai produit 3 000 bouteilles de ce blanc de noirs que j’ai écoulées en quelques mois. Le millésime 2024 est sorti en mai, et je sens que ses 4 500 bouteilles vont également partir très vite », s’enthousiasme-t-il.
Francis Abécassis, à la tête des cognacs ABK6 à Claix, en Charente, s’est engouffré dans l’aventure du blanc de noirs, avec un projet d’une tout autre dimension. « Autant le marché du vin rouge est très encombré, autant celui du vin blanc offre des perspectives », souffle ce producteur de cognac qui a acheté 320 ha de vignes du côté de Sauveterre-de-Guyenne, dans l’Entre-Deux-Mers, pour 3 M€ et a investi 1 M€ dans un chai.
« Nous avons fait un premier essai de vin effervescent avec de l’ugni blanc de Charente qui s’est révélé peu concluant, indique-t-il. Aussi avons-nous cherché à investir en Gironde. Au départ, le projet reposait sur la production de mousseux, mais après réflexion, on a aussi eu envie de proposer un vin blanc tranquille. L’an dernier, pour notre premier millésime, nous avons produit 400 000 bouteilles d’effervescents et 100 000 bouteilles de vin tranquille. Les effervescents sont encore en élevage, mais les vins tranquilles, commercialisés en vin de France, ont fait leur premier pas sur le marché américain avec des retours très prometteurs, une première médaille d’or et 90 points au Beverage Tasting Institute 2025. »
C’est en 2021 que Guillaume Philip, propriétaire du Domaine des Diables, à Puyloubier, en Provence, a eu l’idée d’un blanc de noirs. « La demande de vin blanc explose, constate-t-il. Pour y répondre, j’ai planté 2,5 ha de vermentino en trois ans. Mais il faudra bien attendre une dizaine d’années avant d’en obtenir un vin blanc qualitatif. Alors, en voyant la couleur quasi transparente des premiers jus de cinsault s’écouler du pressoir, j’ai eu l’idée d’en faire un vin blanc pour répondre plus rapidement à la demande. L’idée ne m’était jamais venue auparavant. »
En 2022, Guillaume Philip commercialise son premier blanc de noirs – moitié grenache, moitié cinsault – vinifié uniquement à partir des premiers jus qui ont coulé spontanément du premier pressoir chaque jour de vendange, soit 1 à 2 hl par jour qu’il a conservés à 8 °C le temps de remplir une cuve et de lancer la fermentation. « Au bout de trois semaines, j’avais une vingtaine d’hectolitres, de quoi produire 4 000 bouteilles de blanc de noirs. Cette cuvée habillée d’une étiquette noire que je vends sous le nom BDN est devenue la plus chère de la gamme. » Les blancs de noirs ne se contentent pas de combler un manque de vins blancs chez leurs producteurs, ils sont devenus leurs stars.
Plus de liberté, plus de créativité. C’est ce que souhaitent les producteurs d’IGP Val de Loire. Ils ont donc demandé une modification de leur cahier des charges pour pouvoir vinifier tous leurs cépages en blancs de noirs, ce que l’Inao a approuvé en mars dernier. « Jusqu’à présent, nous avions une liste de cépages autorisés pour vinifier des blancs, une liste pour les rouges, une pour les rosés et une pour les gris, indique Justin Lallouet-Jonas, le directeur du syndicat. L’idée est de supprimer ces listes pour conserver uniquement celle des cépages autorisés afin que les opérateurs puissent vinifier des blancs de noirs et des rosés avec plus de créativité dans le choix et l’assemblage de cépages blancs et noirs. » La procédure nationale d’opposition à ce texte s’est achevée le 2 juin sans aucune objection. Les premiers IGP Val de Loire blancs de noirs pourront voir le jour lors des prochaines vendanges.