Ce qui m’a fait utiliser des levures sélectionnées, ce sont des contaminations par les Bretts et des montées de volatiles lors de fermentations spontanées, raconte François Audebert, propriétaire de la Maison Audebert et Fils à Bourgueil (Indre-et-Loire). Avant ces accidents, je ne vinifiais qu’en levures indigènes. » Aujourd’hui, ce vigneron ne veut plus prendre de risque. « Le levurage est une démarche imposée par le réchauffement climatique et l’état sanitaire de la vendange », précise-t-il.
François Audebert se voit contraint d’utiliser ses premières levures sélectionnées en 2018 pour relancer des fermentations bloquées. Après cette déconvenue, il prend les devants. En 2020 et 2022, il levure d’emblée les cuves qui dépassent 13,5° pour éviter les arrêts de fermentation.
Mais c’est après les vendanges de 2023 qu’il change réellement d’avis. « C’était un millésime difficile alors que les degrés n’étaient pas très élevés. J’ai eu des attaques de mildiou comme je n’en avais jamais connu et des Bretts dans deux cuves en fermentation indigène malgré toutes les précautions que j’avais prises pour compenser les carences azotées et sur le plan de l’hygiène. En revanche, les cuves ensemencées étaient magnifiques ; les fermentations se sont déroulées sans problème », assure-t-il.
En 2024, François Audebert levure toutes ses cuves. « C’était encore un millésime compliqué. Les raisins étaient au bout du rouleau. On a eu beaucoup de pluie, de la pourriture, des vers de la grappe. On a vendangé tard, le 30 septembre, car les degrés ne montaient pas. Je ne voulais pas de problèmes fermentaires ayant déjà presque perdu une récolte en cinq ans », raconte-t-il.
Comme il veut également revoir le profil de ses vins, le vigneron expérimente trois levures de chez Lallemand – Sensation, Floris et Augeo – sélectionnées pour donner des vins rouges légers, fruités et gourmands. « Nos vins sont considérés comme trop tanniques et je souhaitais obtenir des cuvées plus faciles à boire. Alors que je ne cultive qu’un cépage, le cabernet franc, et que j’ai suivi le même itinéraire technique, j’ai eu des résultats très différents selon ces levures. C’est Floris qui m’a apporté le plus de satisfaction, avec des vins à la fois accessibles et aromatiques. Grâce à ces outils, on obtient des vins fruités et faciles à boire avec des vignes qui ne sont pas forcément faites pour cela », explique-t-il.
S’agissant du coût du levurage : « Le calcul est vite fait : je valorise mieux mes vins s’ils sont nets et sans défaut. Sans parler de sérénité, c’est un confort que je ne connaissais plus. »
Pour autant, François Audebert n’a pas renoncé aux fermentations spontanées. « J’attends de voir les conditions sanitaires : si je peux vinifier quelques cuves en levures indigènes, je le ferai. Mais je ne veux plus prendre de risque, confie-t-il. Je suis devenu très prudent. Je compte également faire des essais avec différentes bactéries lactiques pour obtenir plus de gras dans mes vins. »
Même son de cloche au Domaine du Grand Montmirail, à Gigondas. « On a toujours vinifié en levures indigènes jusqu’en 2017, relate Elisa Chéron, propriétaire des 50 ha du domaine familial. Cette année-là, j’ai essayé des levures qui supportent les hauts degrés car nous avions rentré des raisins à plus de 16° potentiels. » Déception pour la vigneronne : « J’ai peut-être été mal conseillée : les sucres n’étaient pas complètement finis et les profils aromatiques pas très intéressants. » Mais après de nouvelles fermentations difficiles en 2022 et 2023, Elisa Chéron décide de retenter des essais, cette fois avec des LSA fournies par l’ICV.
« L’an dernier, sur les conseils de notre œnologue Simon Gauthier, j’ai levuré les deux tiers de la production avec trois levures : Milady, Black Pearl et D80. Elles ont fini tous les sucres, avec des volatiles en dessous de 0,4 g/l alors qu’on dépassait couramment 0,5 g/l en sortie de vinification en fermentation indigène. C’est sécurisant », affirme-t-elle.
Elisa Chéron a testé ces levures sur plusieurs terroirs car elle redoutait qu’elles standardisent les vins. Une crainte vite effacée, l’expression de ces terroirs distincts étant conservée. Ces essais lui ont aussi permis de mieux cerner les propriétés de ces différentes souches. « Milady a préservé la finesse de mes grenaches tandis que Black Pearl a donné des syrahs plus expressives, détaille-t-elle. Sans compter que nos vins sont plus nets. »
Cette année, Elisa Chéron compte levurer toute sa vendange. « Ça coûte forcément plus cher mais, ces dernières années, j’ai perdu du temps à réensemencer mes cuves à la fin des vinifications. » Or, le temps, c’est aussi de l’argent !
Stéphane Becquet, directeur technique et scientifique au Syndicat des vignerons bio d’Aquitaine précise « La fermentation indigène, c’est aussi renoncer à certaines choses. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Il faut une vendange en bon état sanitaire et des raisins frais et proches de la maturité. Mieux vaut ne pas pousser les maturités car on risque de se retrouver dans une configuration difficile à double titre, d’abord avec des arrêts de fermentation à cause de l’alcool et ensuite avec des micro-organismes qui pourraient altérer les raisins sur pied ou le moût en fermentation. Au-delà de 14,5° degrés potentiels ou si l’état sanitaire est dégradé, il faut se poser des questions. »