es Brettanomyces n’ont qu’à bien se tenir ! « J’étais bluffée en voyant les résultats des essais », s’enthousiasme Marie-Laurence Porte. Cette œnologue-conseil chez Enosens, à Grézillac, a testé l’an dernier la nouvelle levure de bioprotection Level2 Salva de Lallemand, une Suhomyces pyralidae antagoniste des Bretts.
Des essais menés d’abord au Château Carbon d’Artigues. Dans cette propriété de Landiras, en Gironde, Marie-Laurence Porte conduit ses essais sur trois cuves de merlot de 50 hl. La première sulfitée à 5 g/hl sert de témoin. La deuxième est ensemencée à 25 g/hl avec Gaïa, une Metschnikowia pulcherrima sélectionnée pour la bioprotection, et la troisième avec la nouvelle levure de Lallemand, à la même dose, soit cinq fois celle recommandée par ce fabricant.
« J’ai augmenté la dose en raison de l’état sanitaire : les moûts étaient fortement contaminés en Hanseniaspora uvarum », une levure productrice d’acide acétique, constate l’œnologue.
Après quatre jours de macération préfermentaire à 25 °C, Marie-Laurence Porte analyse à nouveau les moûts : « Aucune Brett nulle part à ce stade, mais beaucoup d’Hanseniaspora uvarum dans le témoin, alors qu’il n’y en avait presque plus avec Gaïa et 80 % en moins avec Level2 Salva. »
Les trois lots sont ensuite ensemencés avec une Saccharomyces cerevisiae puis en bactéries. « Suhomyces comme Metschnikowia ne résistent pas à l’alcool : elles meurent à partir de 2 à 3 % d’alcool », précise-t-elle. À la fin de la malo, Marie-Laurence Porte analyse à nouveau les vins par PCR quantitative pour mesurer leur contamination par les Bretts et doser les phénols volatils.
« On commençait à avoir des Bretts dans le témoin et, dans une moindre mesure, dans l’essai avec Gaïa. En revanche, rien dans l’essai avec Level² Salva », poursuit-elle.
Mais c’est au cours de l’élevage que la différence devient flagrante. « En mars, le témoin était farci de Bretts (environ 500 UFC/ml) et de phénols volatils, alors qu’on n’avait rien dans le lot avec Level2 Salva et que, dans l’essai avec Gaïa, on avait des Bretts et des phénols volatils, mais en dessous de leur seuil de perception », raconte-t-elle.
« C’est porteur d’espoir », se réjouit Louis-Michel Musyt, propriétaire du Château Carbon d’Artigues, qui veut mener d’autres essais avant d’utiliser la nouvelle levure en routine.
L’an dernier toujours, Marie-Laurence Porte a également conduit un essai au Château du Seuil, à Cérons. « On a débourbé les jus avant de les réincorporer au marc. Puis on a levuré avec Level2 Salva, toujours à 25 g/hl. Le lendemain, on a levuré. En fin de fermentation alcoolique, on a entonné, puis sulfité en fin de malo », indique-t-elle. Là encore, même constat : pas de Brett, ni de phénols volatils avec Level2 Salva, contrairement au témoin.
Charles Medeville, gérant du château, avait eu des Bretts en 2022 : « J’avais traité 200 hl au chitosan. Cela m’avait coûté très cher, se souvient-il. Là, le prix est élevé pour une levure – environ 80 € le kilo – mais ça reste beaucoup moins cher qu’un traitement au chitosan. Sans compter que c’est très simple à mettre en œuvre. »
Philippe Gabillot, consultant œnologue à la chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire, a lui aussi réalisé des essais l’an dernier au domaine Delanoue Frères, à Benais, dans trois cuves de cabernet franc de 100 hl. En suivant le même principe : un témoin sulfité à 4 g/hl, un essai de bioprotection avec Gaïa et un autre avec Level2 Salva.
« Sur les essais de bioprotection, on a pulvérisé les levures à 10 g/hl dans des bennes avant une macération préfermentaire de 24 et 48 heures avec un suivi microbiologique du début à la fin », indique-t-il. Cette fois, aucune Brett n’a été retrouvée, ni dans le témoin ni dans les moûts bioprotégés. « En revanche, Gaïa et Level2 Salva ont montré une bonne opposition à Hanseniaspora uvarum », assure Philippe Gabillot.
Côté dégustation, les deux œnologues s’accordent sur une différence en faveur de la bioprotection sur leurs essais respectifs. « L’essai avec Gaïa est plus aromatique qu’avec Level2 Salva », avance Philippe Gabillot. Marie-Laurence Porte, elle, préfère l’essai avec Level2 Salva. « J’y retrouve plus de rondeur, de sucrosité et de fruité », affirme-t-elle. En revanche, tous deux classent le témoin sulfité en troisième position.
Cette année, les deux œnologues poursuivent les essais avec de la biosanitation. « L’idée, c’est de pulvériser la levure sur le matériel : benne à vendanger et cuves », explique Marie-Laurence Porte. Autre idée : « J’aimerais aussi tenter d’entonner un vin bioprotégé dans une barrique contaminée par les Bretts pour étudier la rémanence de la toxine et, pourquoi pas, assainir la barrique », s’imagine-t-elle. Difficile à croire, mais une chose est sûre : si cette toxine est isolée un jour, elle pourrait bien permettre d’en finir pour de bon avec les Bretts.
« Quand on traite un vin au chitosan, c’est déjà trop tard et c’est très cher, explique Vincent Delanoue, copropriétaire du domaine Delanoue. On ne retrouve jamais vraiment l’aromatique de départ. » C’est pourquoi ce vigneron va poursuivre les essais pour ce nouveau millésime et mettre en place une stratégie. « J’aime bien l’idée de répartir les risques : peut-être qu’on utilisera cette levure en préventif uniquement sur les vins les plus qualitatifs et les plus rémunérateurs. »