out semblait fin prêt ce lundi 26 mai matin pour assurer le traitement par drone des vignes martyrisées par la grêle et les pluies diluviennes du mardi 20 mai sur le domaine des Campaux (34 hectares de vignes en bio sur la commune de Bormes-les-Mimosas, Var) : autorisation de la mairie, validation du vol par l’aviation civile, pilote de drone titulaire du Certiphyto, marquage des parcelles à traiter par des panneaux et surtout l’autorisation dérogatoire de traitement aérien contre le mildiou, publiée ce dimanche 25 mai par arrêté. Mais il manquait l’essentiel : la bouillie bordelaise RSR Disperss (n°AMM 9500452) qui était la seule validée par l’arrêté interministériel.
« On abandonne les drones, c’est annulé. C’est trop long et complexe. C’est l’enfer » réagit non sans amertume Mohamed Elghoul, le directeur du domaine des Campaux, qui souligne que « quand les vignes sont blessées, il faut intervenir tout de suite pour que ce soit efficace. Nous allons le plus vite possible à la minipelleteuse pour accéder aux vignes. Les chemins sont défoncés, les tournières ont tellement morflé… On commence à traiter ce que l’on peut. » Voulant sauver ce qui peut l’être face à la pression mildiou, Mohamed Elghoul mobilise ses équipes depuis des jours pour réussir à rétablir l’accès à ses parcelles. Tout en gardant des regrets : « j’ai déjà vu des traitements par drone. Ce n’est pas différent d’un pulvé. Tout tombe sur la vigne, il n’y a rien qui change. Je ne comprends pas que ce soit aussi compliqué. »
Un loupé qui s’est joué à peu rapporte Augustin Navarrane, directeur associé d'Agribio Drone (prestataire spécialisé basé à Toulon), qui était parti ce matin pour traiter les vignes de Bormes-les-Mimosas. L’entraide agricole avait permis de trouver de la bouillie bordelaise RSR disperss chez un vigneron provençal, mais il s’est avéré qu’il s’agissait de RSR disperss NC : sans la coloration de la bouillie bordelaise autorisée par l’arrêté, et avec une autre Autorisation de Mise sur le Marché (AMM). « Le ministère a autorisé le seul cuivre avec une Fiche de Données de Sécurité (FDS) applicable par voie aérienne. Le bon produit a finalement été trouvé en vallée du Rhône, mais c’est loin et le vent s’est levé cet après-midi » constate Augustin Navarrane, qui veut rester positif.


Si « les questions de produits, de météo, etc. ne sont que des sujets habituels qui font de l'agriculture un métier difficile et un milieu où rien n'est gagné d'avance », le pilote de drone veut « remercier pour cette première les autorités et les administrations qui ont réagi vite et efficacement (notamment l’aviation civile qui a été exceptionnelle). Elles ont osé faire dérogation pour la première fois en France et apporté leur confiance dans l'usage d'un outil plein d'avenir : le drone aérien. » Sachant que la loi autorisant l’épandage de phytos bio/biocontrôles sur les parcelles viticoles dont la pente dépasse 20 % et la mise en place d’expérimentations de 3 ans n’a pas été transcrite dans un décret d’application, le traitement aérien par drone est actuellement illégal, ce qui limite le nombre d’AMM conçues pour.
« Quand il y aura des besoins à l’avenir, Il faudra une dérogation autorisant les produits utilisables en agriculture biologique (UAB). Que l'on puisse autoriser de l’héliocuivre sans se dire qu’il faut que ce soit un cuivre autorisé pour application par voie aérienne, comme c'est actuellement illégal [NDLR : les AMM n'incluant pas la possibilité d'une modalité de traitement par drone actuellement interdite]. Sinon c’est le double effet Kiss Cool » souligne Augustin Navarrane, qui le répète : « c’est vraiment une première. Tout le monde a fait son boulot dans la précipitation. »


Dans l’immédiat, ce problème d’absence de colorant empêchant de valider l’usage d’un phyto identique en dosage doit être levé pour Jérôme Despey, premier vice-président FNSEA. « On a le produit, mais pas le colorant... Je demande qu’il y ait un arrêté rectificatif rapidement. Il y a eu une prouesse pour sortir ce décret. Il faut sortir de cette aberration » plaide le viticulteur languedocien. « L’administration a tellement voulu sécuriser qu’à force de contraindre, ça pose problème » regrette le consultant viticole Benoît Ab-der-Halden (cabinet Saint-Vincent, à Toulon), qui alerte sur la forte pression mildiou actuelle : « après un début de campagne très pluvieux, il va y avoir du repiquage. Ça va être compliqué de rattraper, surtout en bio où l’on n’aurait plus la possibilité de dormir tranquilles. Il va falloir traiter vite et un drone est parfaitement adapté. »
Ne cachant pas sa déception face à ces déboires (« on ne pensait pas qu’il fallait la signature de quatre ministres… »), le viticulteur Sylvain Audemard, président de la Chambre d’Agriculture du Var, espère que cette première servira les prochaines dérogations en cas d’aléas climatiques : « il faut que la dérogation soit sous l’autorité du préfet. Ça a pris beaucoup de temps, c’était une première pour le ministère, mais on ne voulait pas d’autorisation par hélicoptère que l’on aurait pu avoir en fin de semaine : ce n’est pas efficace et ça date d’un autre temps. » Le président de la FDSEA du Var rapporte que dans le département les viticulteurs ont réussi à traiter : « il reste les vignes inaccessibles de Bormes-les-Mimoses, mais beaucoup ont pu passer. Ce n’est pas un bon travail, il y a de sacrées ornières, mais c’est fait. »


« Nos vignes sont protégées », souffle ainsi Adrien Pertusa, soulagé. Ce vigneron à la tête de 30 hectares sur la commune de Cogolin (Var) a finalement pu entrer dans ses parcelles pour traiter contre les maladies phytosanitaires, qui menaçaient de s’installer à toute allure. Le jeune adhérent de la cave coopérative de Grimaud (Var) mesure sa chance : la dérogation pour le traitement aérien contre le mildiou ne concerne que Bormes-les-Mimosas, à 25 km au sud. Et le seul produit autorisé est donc introuvable chez les distributeurs régionaux. « Heureusement qu’on a pu intervenir de façon classique, poursuit-il. On était prêts à faire appel à des prestataires de drones. La cave avait organisé une réunion vendredi matin pour nous expliquer les contraintes réglementaires. On savait qu’il y aurait de nombreuses conditions à respecter. »
« En à peine une heure, nos vignes ont été submergées sous un mètre d’eau, on ne s’y attendait pas », raconte le jeune viticulteur. L’orage, parti le matin du Lavandou et de Cavalière jusqu’à Vidauban, s’est déversé sur Cogolin en fin d’après-midi. « Les cours d’eau ne sont pas entretenus, l’eau déborde. Ce n’est pas nouveau : dans notre département, c’est un problème récurrent. » La parcelle noyée - 4,5 hectares de colombard - a toutefois été partiellement préservée. « Ce qui nous a sauvés, c’est l’enherbement un rang sur deux : le tracteur a pu passer sans souci », souligne Adrien Pertusa. Reste une inquiétude : « Le feuillage est resté recouvert de limon. J’ai peur que ça nuise à la floraison. »
Depuis, le vent s’est levé, asséchant les vignes et améliorant les conditions phytosanitaires. Une brèche d’espoir dans un printemps sous tension. Et pour l’avenir, Sylvain Audemard compte organiser des démonstrations de traitement par drone dans le vignoble et mettre les administrations autour de la table pour poser de nouveaux jalons : « le drone, c’est l’avenir. Pour un coût de 30 000 €, il peut traiter 3 ha/h. »
Malgré un mètre d’eau en moins d’une heure, le vigneron Adrien Pertusa, à Cogolin (Var), a réussi à sauver ses vignes sans avoir recours au traitement aérien dérogatoire auquel il n’a pas pu avoir accès. Photo : DR.
Les chemins pour joindre les parcelles sont dans un état calamiteux sur la commune de Bormes-les-Mimosas. Photo : domaine des Campaux.