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Le vin a de l’avenir : les raisons de continuer à y croire (et agir)
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Sciences positives
Le vin a de l’avenir : les raisons de continuer à y croire (et agir)

Si les temps sont très difficiles pour la filière vin, les opérateurs qui passeront la crise seront armés pour l’avenir explique Martin Cubertafond, consultant en stratégie et maître de conférences à Sciences-Po, qui ne donne pas dans l’optimisme débridé, mais dans le pragmatisme assumé en conseillant de différencier un maximum son offre pour un investissement minimum.
Par Alexandre Abellan Le 01 juin 2025
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Le vin a de l’avenir : les raisons de continuer à y croire (et agir)
'Il y a de l’espoir, car il y a des segments en croissance et de nouvelles occasion de consommation à aller chercher' indique Martin Cubertafond. - crédit photo : Jean-François Robert
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ous vivons un violent printemps pour le vignoble français, qui voit la fragilité économique briser et coûter des vies. Avez-vous des raisons à partager de continuer de croire dans l’avenir des vins et de sa filière ?

Martin Cubertafond : Cette question est quasiment philosophique. Oui, il y a toujours des raisons d’espérer, bien entendu. Je rentre des États-Unis où, si l’on ne peut pas du tout copier-coller la situation, il est intéressant d’y trouver une vision partagée : ils s’attendent encore à quelques années de décroissance de la consommation de vin, avec une baisse de 15 à 20 %, avant une stabilisation, grâce à des arrachages, qui ont lieu actuellement, et une vraie adaptation de marché. Il est intéressant de voir qu’aux États-Unis, ils sont passés en un an de la sidération face à la fin d’un cycle de croissance, à la réaction, en ne parlant plus de downsizing, mais de right-sizing. C’est-à-dire se projeter dans une autre taille de marché, avec des acteurs en moins, mais où ceux qui vont rester seront plus solides.

Il y a des raisons d’y croire car il reste certains segments qui marchent, comme les bulles, mais aussi des nouveaux segments. Aux États-Unis, un segment en croissance est le "better for you", avec des vins qui se proclament plus sains : avec moins de calories (65-80 par verre), moins d’alcool (7° à 9°), moins ou pas de sucre. Tout ce qui est "single serve", la portion individuelle, marche bien également. En effet, là-bas 29 % des ménages sont constitués d’une personne et 35% de 2 personnes : c’est-à-dire que la bouteille de 75 cl ne convient pas aux deux tiers du marché : soit parce que l’on ne finit pas la bouteille, soit parce que l’on consomme plus d’alcool que souhaité. Les bouteilles 37,5 cl marchent bien, les grandes marques ont des croissances supérieures à 10 % sur ce format. Mais seulement 5 % vins sont offerts en moins de 75 cl, alors que 71 % des bières le sont, d’après les données du Wine Market Council. Il y a donc une inadéquation entre l’offre de vin et le mode de vie des consommateurs en termes de contenants.

 

Comment faire pour se rapprocher des attentes des consommateurs actuels ?

C’est là-dessus que nous devons évoluer. Il faut proposer des produits qui correspondent aux modes de vie actuels. Il faut un changement de paradigme. Avant, les consommateurs venaient aux vins, qu’il s’agisse de vin du quotidien ou de plus beaux domaines. Il faut tout inverser, à tous les niveaux du marché : c’est le vin qui doit aller vers le client. Par exemple pour toucher les jeunes au moment où ils se réunissent et consomment des boissons, avec des quantités correspondant à une consommation individuelle et des contenants correspondants à leur mode de vie (peut-être qu’ils n’ont pas de tire-bouchon, tout simplement).

C’est aussi vrai pour les vins haut de gamme, pour lesquels les allocations et les stratégies de pénuries orchestrées marchent moins bien aujourd’hui. Dire que l’on n’a pas de vin à vendre et mettre les clients sur une liste d’attente, cela marchait très bien avec les boomers, mais les jeunes générations ne comprennent pas qu’on leur dise "non", et ils se tournent vers d’autres produits si on ne leur ouvre pas la porte. Il ne faut pas attendre les consommateurs, il faut aller vers eux.

En cela il y a de l’espoir : il y a des segments en croissance et de nouvelles occasions de consommation, qui sont des opportunités à aller chercher. Comme par exemple la livraison de repas (UberEats, Deliveroo,…) : il est dingue qu’aucune offre de vin adaptée ne soit proposée, alors que cela prend des parts de marché dans les grandes villes

 

Quels sont les changements de stratégie et d’état d’esprit à opérer pour agir sur la vente de ses vins et ne plus subir leur mévente ?

Dans la filière, si la taille du marché diminue encore de 15 %, il y aura des gagnants, ceux qui sont sur les bons segments, qui se remettent en cause, qui essayent de se réinventer. Mais il y aura aussi des perdants, probablement ceux qui attendent, prostrés. Il y a toujours une nécessité de se remettre en question, mais actuellement c’est vital.

La question clé est : comment faire pour que mon produit ne devienne pas une commodité, un vin interchangeable, comme le sucre ou le blé par exemple. Tous les vins n’ont pas de points de différenciation et dans un marché où l’offre est supérieure à la demande, ils courent le risque d’être remplacés par substitution, même s’ils sont qualitativement irréprochables.

Même le segment des vins très haut de gamme doit se poser la question de ce qui le différencie de ses concurrents, à Bordeaux ou dans la Napa Valley. Il faut se réinventer, se poser la question de sa différence : qu’est-ce qui fait que l’on ne peut pas être remplacé par un autre vin sur la table ? Cela peut être la prime donnée par une appellation (comme Champagne), un narratif unique, des marques fortes (comme par exemple Gérard Bertrand), cela peut être un emballage différent, ça peut aussi être le prix, mais c’est dangereux…

 

Vous prônez un état d’esprit offensif et non plus défensif dans la vente de vin, mais avec des trésoreries tendues et des retiraisons toujours plus tardives, comment et où investir à coup sûr ?

C’est super dur. Tout le monde essaie de se réinventer pour ne pas mourir et je n’ai pas de réponse universelle. En se mettant dans la tête du consommateur, il faut définir l’offre qui nous permet de nous différencier au maximum en nous coûtant le minimum, afin d’avoir le retour sur investissement maximal. On peut par exemple prendre le classement des principaux restaurants livrant à domicile d’une zone pour aller les voir et leur demander ce dont ils ont besoin. Il faut être pragmatique : où sont les consommateurs ? qu’est ce qui peut différencier mon vin en me coûtant le moins d’argent possible ?

Et il faut porter un message positif. Dès que l’on fait découvrir le vin aux nouvelles générations ou à des communautés qui n’en sont pas traditionnellement consommatrices, on voit que le vin répond à leurs attentes. Bien sûr, si on leur parle de la différence entre le grenache et le cabernet ou des nuances entre le calcaire et le schiste, ils s’en vont en courant. Mais si on leur transmet ce que nous sommes : des produits locaux, avec une histoire, des gens passionnés, un savoir-faire, etc. ils adorent. C’est d’ailleurs le narratif que nous ont pris nos concurrents des craft beers et des spiritueux "artisanaux".

Il faudrait aussi développer des vins qui jouent le rôle de porte d’entrée vers la catégorie, et arrêter de dénigrer toutes les innovations qui essaient de casser les codes. Nous avons besoin de vins plus simples à comprendre, même s’ils ne rentrent pas dans le carcan de l’AOC, des cahiers des charges, de la bouteille 75 cl…

 

La filière vin ne se trouve-t-elle pas inconfortablement prise entre deux chaises : fournir une offre traditionnelle à la clientèle établie qui vieillit, mais reste acheteuse, tout en innovant pour les marchés à ouvrir, où tout est à construire quitte à casser les codes ? N’est-ce pas schizophrénique ?

Il n’y a pas le choix, il faut assumer les deux sans être schizophrène, mais en étant cohérent. Je vais exagérer : on peut proposer un vin en cannette de 20 cl à mettre au réfrigérateur vendu moins de 4 € et produire un vin qui exprime le meilleur du terroir que l’on a depuis ses grands-parents à plus de 25 € la bouteille. Ce n’est pas renoncer au deuxième que de faire le premier. Il n’y a pas le choix, car il faut continuer à produire le vin que l’on faisait avant (parce qu’il correspond à une consommation certes en décroissance, mais qui va permettre de payer les factures pendant encore 10 ans) et préparer l’avenir (avec des portes d’entrée pour la nouvelle génération, qui nous fera vivre après).

Dans la filière vin, on a tendance à sous-estimer la croissance de la concurrence des autres boissons alcoolisées. Avant, dans un restaurant il y avait une bière à la carte. Maintenant, il y a 4 pressions au bar. Et ainsi de suite pour les sodas, cocktails… Pour aller toucher les jeunes et les non-consommateurs de vin, il faut comprendre qu’ils ont de quoi s’éclater ailleurs pour moins cher. Une bouteille à 10-12 € (voire plus de 20 € dans un bar) peut refroidir l’envie de découvrir le vin, alors que si on la divise en 4 cannettes à moins de 4 € on peut permettre d’expérimenter. L’étude récente de la Rabobank explique que si les jeunes boivent moins alcool, c’est pour des problématiques de santé mais aussi pour des raisons économiques : ils ont moins d’argent. Que ce soit au verre ou à la pression, une portion individuelle de vin permet d’avoir un prix facial plus faible et de pouvoir découvrir le produit

 

Alors que le virage agroécologique a beaucoup animé la filière ces dernières années, à coup de pratiques vertueuses et de labels pour en certifier, le marché semble ne pas donner la plus-value nécessaire. Est-ce encore un outil de différenciation pertinent ?

Avant le Covid et le pic d’inflation qui a suivi, provoquant une forte baisse du pouvoir d’achat, les consommateurs étaient prêts à payer plus cher pour des produits plus sains et pour faire évoluer les choses, pour être, selon le mot à la mode à l’époque, des consomm’acteurs. La quasi-totalité des consommateurs n’a plus les moyens de se le permettre, c’est le fameux "la fin du mois contre la fin du monde". Seule une petite partie des consommateurs, à fort pouvoir d’achat, paie encore cette prime aujourd’hui. Cette diminution de la demande est arrivée à un moment où l’offre de vins bios devenait plus importante, provoquant une baisse des prix.

Mais si aujourd’hui le consommateur ne le valorise plus, cela reste un élément de différenciation vis-à-vis des distributeurs. Les appels d’offre des monopoles d’Europe du Nord en témoignent, et même dans des marchés où la durabilité est moins importante, cela reste un plus dans les négociations, un moyen d’accéder aux distributeurs qui vous ouvrent les marchés

 

Comment résister aux affres économiques et géopolitiques actuels alors que les vents semblent contraires ?

On en revient aux règles de base : il faut diversifier son exposition, ses clients, les pays et ne pas avoir tous ses œufs dans le même panier. La nouveauté c’est que notre période est plus volatile : ce qui était vrai hier, ne le sera pas forcément demain. Cela impose d’avoir une capacité de réaction plus rapide face aux bouleversements climatiques, économiques, géopolitiques… Nous avons connu les taxes de Trump 1, maintenant ce sont les droits de douane de Trump 2. Il y a eu les taxes chinoises sur les vins australiens, maintenant sur les cognacs... L’époque de la "mondialisation heureuse" semble terminée. Il faut donc être plus agiles, réagir vite et s’adapter aux risques en les divisant.

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Grami Le 02 juin 2025 à 14:21:38
Je partage ! Enfin quelqu'un de pragmatique ! Pas comme les deux autres qui nous disent que nous sommes en sous commercialisation ! ? Il faut d'abord adapter volumiquement l'offre à la demande afin de briser cette spirale destructrice de valeur et dans le même temps adapter les produits aux nouveaux modes de consommation, mais il est évident que beaucoup vont rester sur le carreau...?
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Raffard jean Philippe Le 01 juin 2025 à 16:48:25
« C'est aussi vrai pour les vins haut de gamme?.Dire que l'on n'a pas de vin à vendre et mettre les clients sur une liste d'attente, cela marchait très bien avec les boomers, mais les jeunes générations ne comprennent pas qu'on leur dise "non". Je vous cite M. Cubertafond, mais prenez vous en compte le « vieillissement naturel » des jeunes générations ? On dira « non » à un jeune non solvable, bien sûr. J'ai plusieurs exemples autour de moi de jeunes trentenaires, en CDI ou entrepreneurs qui me demandent si je pourrais les faire bénéficier de mon allocation pour les grands vins de la Famille Perrin. Génération Vignerons
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