e confirmant à défaut de se préciser, le projet gouvernemental de coupes budgétaires dans les agences publiques est suivi avec intérêt par la filière vin. Il faut dire que parmi les instances qui pourraient être supprimées, fusionnées ou réorientées, Public Sénat cite des noms et acronymes bien connus des vignerons et négociants : l’Agence Bio, Business France, l’Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO)... Fondée il y a 80 ans, cette dernière agence est centrale dans la gestion des 364 vins AOP et 75 vins IGP de France pesant pour 95 % de la production viticole nationale.


Appelant à la prudence, comme il n’y a aucun élément confirmé, mais seulement de potentielles menaces, Jérôme Bauer, le président de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC), appelle à ne pas confondre modernisation et suppression. Pour le vigneron alsacien, amputer trop fortement « l’INAO, ce serait couper la jambe gauche à nos appellations. Si aujourd’hui nous pouvons apporter une garantie de qualité, d’origine à nos consommateurs c’est grâce à l’institut qui pilote nos cahiers des charges. Nous nous battons depuis des années pour que nos AOC et IGP ne deviennent pas des marques privées. Elles font partie du bien commun de notre société. C’est un élément de notre soft Power et un atout géopolitique énorme. » Et le président de la CNAOC de pointe que l’institut cogéré entre l’administration et les professionnels* est « l’outil le plus puissant au service des terroirs, des filières et de l’excellence française » avec 27 millions d’euros de budget pour plus de 40 milliards € générés d’après les estimations.
« On comprend qu’il faille serrer les boulons. Mais il y a un vrai retour pour l’État qui investit moins de 20 millions € » abonde Gérard Bancillon, le président de la fédération nationale des vins IGP. Estimant que la France jetterait le bébé avec l’eau du bain si elle supprimait purement et simplement l’INAO, le viticulteur gardois reconnait qu’il a été sidéré par ce projet. Y voyant un possible levier de chantage pour augmenter les cotisations des producteurs (AOP, IGP, Agriculture Biologique, Label Rouge…), Gérard Bancillon estime qu’il « faut se pencher sur le bilan global de l’agence, sur la gestion et la protection de signes de qualité locaux et non délocalisables. D’autant plus au moment où l’on vante le "made in France" et la relocalisation de l’emploi en France. » Se demandant comment faire sans l’INAO, Gérard Bancillon estime que cela « détruirait la filière, qui est déjà dans un sale état. Il y a un risque de destruction de toute la valeur ajoutée des AOP et IGP dont l’INAO est le seul garant. »
Alors que des projets d’internalisation de l’INAO fleurissent ponctuellement, « la réduction annoncée du budget de l’INAO ou sa suppression auraient de graves conséquences » prévient Jérôme Bauer, qui évoque concrètement des « retards dans l'instruction des modifications de cahier des charges (pourtant indispensables pour s’adapter aux changements climatiques, aux crises économiques et aux attentes sociétales), retard dans la mise en œuvre de chantiers importants (comme la délimitation des zones de production), difficultés à accompagner les petits Organismes de Défense et de Gestion (ODG) qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour assurer les aspects juridiques et techniques de leur activité, affaiblissement de la mission de communication et de protection (face aux usurpations et contrefaçons) des Indications Géographiques (IG) en France et à l'étranger, remise en cause de la politique de qualité de la France qui existe depuis 1935 et qui a créé beaucoup de valeurs dans les territoires. »


« Nous avons besoin de l’INAO. La filière ne peut pas se passer d’un institut de gestion et de protection des signes de qualité. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de travail à mener de simplification » appuie Jérôme Despey, le premier vice-président de la FNSEA (qui s’était positionnée début 2025 en soutien à l’Agence Bio). Également président conseil spécialisé vin de FranceAgriMer, le viticulteur languedocien pointe que « chercher des éléments de synergie, de transversalité, de simplification… On y travaille : c’est indispensable. Mais rayer des établissements ancrés sur le terrain, ce serait ubuesque dans mon point de vue ». Déjà né de fusions en 2009**, FranceAgriMer pilote la mise en œuvre de l’Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM vin), soit 270 millions d’euros de fonds européens par an (pour l’investissement, la restructuration, la promotion), mais aussi de gestion des crises en faisant le lien entre représentants professionnels et instances administratives.
Pour Jérôme Despey, « le conseil spécialisé vin est un lieu d’échange, de veille de marchés, d’orientation des politiques publiques communautaires et nationales en collant à la réalité de terrain pour que les demandes des professionnels soient défendues. Cela peut être fait ailleurs, avec des économies d’échelle, des budgets mieux orientés et des procédures plus simplifiés. Être plus efficient est normal, mais on ne peut pas mettre en difficulté toute une filière, ce serait contre-productif. »


Plus globalement, « je distingue deux types d’outils et organismes : ceux dont on peut se passer et ceux qui sont au service de la filière et sont pilotés par la profession en cogestion avec l’État » réagit Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons Indépendants de France, pour qui « FranceAgriMer et l’INAO ne sont pas des agences de suradministration, mais d’accompagnement du secteur. On doit continuer à simplifier, augmenter l’agilité, mettre en œuvre plus simplement et rapidement sans la lourdeur de strates administratives sédimentées », mais pas casser des outils stratégiques pour l’avenir de la filière. Dans cette optique, « si le plan de simplification est budgétaire, la filière en sera l’alliée de circonstance. Nous voulons tous alléger et rendre plus flexibles les dispositifs tout en maintenant les organisations permettant de piloter la filière » souligne le vigneron languedocien.
* : Jérôme Bauer précise que « 250 professionnels siègent dans les différentes instances de l’INAO, toutes filières confondues, et que les propositions qui sont faites dans les différents comités s’imposent au gouvernement. En d’autres termes, nos décisions deviennent le droit et c’est assez unique en France. »
** : FranceAgrimer est né du rapprochement des offices du vin, des fruits et légumes (Viniflhor), des grandes cultures (ONIGC), des viandes et du lait (ONIEP), des produits de la mer (OFIMER), des plantes à parfum et médicinales (ONIPPAM) et du Service des nouvelles des marchés (SNM).