n de plus, c’est toujours un de trop. Le vignoble est en deuil depuis que l’un des siens s’est donné la mort ce printemps : Christophe Blanc, ce 10 mai dans ses vignes à Castillon. Hélas, ce n’est pas le premier suicide qui frappe la filière vin. Des deuils frappant Bordeaux, mais aussi le Languedoc, le Rhône, le Jura… Pourtant, on veut pouvoir espérer que ce soit le dernier vigneron à se donner à la mort. On veut croire à un sursaut collectif. On veut rappeler une évidence : la crise viticole ne peut plus tuer. Il faut répéter qu’il existe toujours des solutions : de l’arrachage pouvant rétablir la rentabilité à l’évolution/innovation des profils produits pour dynamiser les ventes et la valorisation, en passant par les procédures collectives pour retrouver de l’oxygène financier et la reconversion professionnelle s’il n’y a plus de solutions. Vivre sa vigne ce n’est pas en mourir. Rompre l’isolement des idées noires paraît crucial : il est vital de crever l’abcès et de partager ses difficultés avec sa famille, ses proches, ses collègues, ses syndicats, la MSA, ses fournisseurs… Et s’entourer d’experts : économiques, commerciaux, juridiques et psychologiques. Des dispositifs institutionnels et associatifs existent pour. Le vignoble ne peut plus jouer Camille déclamant dans Horace : « se plaindre est une honte et soupirer un crime » (Corneille, 1641).
L’ampleur de la crise viticole doit combler l’abysse de la honte d’avoir un domaine endetté et un moral à bout de souffle. Quand tous les vents sont contraires, la difficulté tourne à la fatalité, mais cette fragilité ne doit pas être fatale. Quand on n’est pas vigneron, on ne peut qu’imaginer le vertige de ceux qui ont tout donné à leurs vignes pendant une vie, ceux qui se retrouvent acculés par les encours et encerclés par les créances, ceux qui voient leur foncier et leurs stocks se dévaloriser. Mais on ne peut pas imaginer que le suicide soit une solution. D’abord parce que rien n’est résolu, les dettes survivent et les successions n’en sont que plus douloureuses et coûteuses. Ensuite parce que « nos vignobles ne restent que du matériel, nos vies sont plus importantes » comme le résume la vigneronne médocaine Cathy Héraud, qui appelle actuellement ses confrères à se réunir pour trouver de nouvelles voies de commercialisation. Car dans le monde agricole, le constat des ventes à perte semble institutionnalisé. En témoigne l’appellation Castillon où le différentiel entre coût de production et prix de vente est l’un des plus importants du vignoble bordelais. L’une des raisons étant l’investissement des vignerons dans la transition agroécologique, qui ne leur est pas rendu par le marché n’en payant pas le prix. Entre l’attente prévue des consommateurs et leurs comportements réels d’achat, le coût est rude pour les domaines s’exposant à d’importants décrochages.
En témoigne crûment Rémy Grassa, directeur du domaine Tarriquet en Côtes-de-Gascogne : « on pensait répondre à une attente du consommateur, mais au final ce n’est pas valorisé sur le marché et cela ne fait pas la différence. Peut-être parce que le consommateur est perdu, désinformé. Il ne sait pas faire la différence entre celui qui prend un engagement territorial à produire dans la vigne et des acteurs dans le négoce qui profitent de l’image des vrais acteurs de territoire en achetant en dessous du prix de revient économique, ce qui décapitalise le vignoble pour générer de l’opportunisme qui déstabilise la filière. »
Devant amener à une prise de conscience collective, le drame de Castillon redonne toute sa force à l’enjeu de développement durable de la filière vin. L’inaction n’est plus possible. Les acheteurs, qu’ils soient négociants ou distributeurs ou importateurs, ne peuvent plus dire qu’ils ne savent pas qu’en achetant à prix cassés des vins ils détruisent des hommes. Ce n’est pas suivre le marché que de le déconnecter de la réalité du coût de revient. Et ce n’est pas respecter le consommateur que de lui servir des discours sur l’importance de privilégier des filières locales et durables pour sortir en promotion des bouteilles. « Accordez votre bouche avec votre courage
Pratiquez vos conseils, ou ne m'en donnez pas » dit Mélite dans la pièce éponyme de Corneille (1642).