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"Nos vignobles ne restent que du matériel, nos vies sont plus importantes"
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Catherine Héraud
"Nos vignobles ne restent que du matériel, nos vies sont plus importantes"

Attention, sujet d’autant plus difficile qu’il est vital. Alors que des échos de suicides endeuillent le vignoble, entretien avec une vigneronne en ayant payé le tribut : Catherine Héraud, à la tête du château Saint-Christoly (Médoc).
Par Alexandre Abellan Le 08 août 2024
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'Tous les bons moments, tu les prends. Les mauvais, tu les oublies' conseille Catherine Héraud. - crédit photo : Château Saint-Christoly (Catherine Héraud vend ses vins sur la vedette la Bohème reliant le Verdon au phare de Cordouan)
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i les difficultés économiques sont déjà un immense tabou dans le monde agricole, les drames du suicide sont encore plus occultés… C’est même un sujet interdit dans la filière vin.

Héraud : Je ne me l’interdis pas. Certes le sujet est sensible et fait mal à notre âme et à notre cœur. Le suicide n’est pas un tabou que pour l’agriculture, mais pour toutes les professions. C’est très brutal et inexpliqué, pour ceux qui restent. Mon papa s’est suicidé il y a 8 ans, laissant des questions sans réponse et nous obligeant à vivre avec. La vie est plus importante que toutes les difficultés. À chaque problème il y a des solutions. Quand on ne voit que le suicide comme solution, il faut s’accrocher aux bons souvenirs.

C’est tellement incompréhensible, on ne sait pas quand une personne va passer la limite du suicide. Mon père avait passé la veille de son suicide une bonne journée et une soirée avec des amis. Je l’ai retrouvé mort le lendemain matin. Un copain de l’Amour est dans le pré était venu il y a cinq ans faire un week-end de marchés, à la fin il m’a dit "je rentre et je me pends" : je lui montré ce que j’ai derrière mon sourire à l’intérieur : je vis avec le suicide de mon père et je fais la part des choses pour réussir à vivre. Je vis des haut et des bas, mais jamais je ne me suiciderai : j’ai vécu ce que ça fait. Tous les bons moments, tu les prends. Les mauvais, tu les oublies. Il faut être là au bon moment et essayer d’avoir les bons mots.

 

Vous avez réagi sur Instagram au suicide de l’un des vignerons voisins de votre propriété. Ce n’est hélas ni le premier, ni le dernier. Comment y mettre un terme quand on voit d’abord la fragilité économique croître puis l’humain vaciller ?

La situation est très fébrile. Ils lâchent tout. Ils ne voient pas de solution. Partir leur semble la meilleure option. Mais nos vignobles ne restent que du matériel. Et nos vies sont plus importantes que du matériel. Je suis la septième génération à la tête du domaine, mais je le répète : ce n’est que du matériel. Cela fait quatre ans que mon exploitation est en vente. Je me bats pour commercialiser mes vins auprès des consommateurs. Non seulement le marché est difficile, mais les friches n’aident pas. Sur 15 hectares de vignes, je n’ai plus que 3 ha avec du raisin, le reste a été bouffé par le mildiou à cause des vignes abandonnées par un voisin ayant arrêté de l'entretenir après trois traitements. Les délais pour les primes à l’arrachage sont trop longs, l’arrachage sanitaire ne sera pas efficace et utile pour ce millésime : c’est trop tard. Et l’amende de 5 000 € pour les friches va toucher les petits producteurs qui n’ont pas les moyens. Attention, sinon les choses se cumulent et il y a des suicides à la fin.

Une exploitation, ce n’est que du matériel. Même si cela fait des années que l’on se crève pour la faire tenir. Même si l’on est la septième génération et que ça fait mal au cœur. Pour accepter les choses, il faut aller voir les bonnes personnes pour se faire soigner. Il faut oser. On ne va pas voir un psy parce que l’on est folle, mais parce que l’on en a besoin. Quand on a déjà affronté un suicide et que l’on apprend que le voisin a mis fin à ses jours, tout revient. Ça nous fait revivre le drame, tout se bouscule.

 

Sur les réseaux sociaux, vous appelez les personnes en détresse à ne pas oublier celles qui vont rester, trouver le corps, vivre dans les lieux du drame et devoir continuer. Le premier remède est-il d’oser parler : à ses proches, à des experts ?

Il faut trouver la bonne personne spécialisée pour son problème. La cellule psychologique et le numéro spécial de la MSA ne sont pas suffisants. Pour les proches d’une personne qui s’est suicidée, on nous plaint souvent, mais on ne veut pas faire pitié : on n’est pas bien, on ne sait pas où ranger l’évènement dans notre cerveau. Il faut être aidé et pouvoir tenir.

 

Vous avez participé à la saison 2020 de l’émission l’Amour est dans le pré, comment ne pas voir que du malheur mais de l’espoir dans les vignes bordelaises ce difficile millésime 2024 ?

Dans cette émission j’ai trouvé une grande famille : il y a solidarité inespérée, que ce soit de la production, de Karine Le Marchand et des autres agriculteurs, bien que je sois encore célibataire. D’où le fait de vouloir vendre l’exploitation : ma fille de 23 ans est cuisinière et n’en veut pas. Mon exploitation, c’est ma vie. J’ai quitté l’école à 12 ans pour suivre une formation complémentaire à la viticulture. Aujourd’hui, j’ai 45 ans et j’ai sacrifié ma vie personnelle pendant 25 ans. Ma fille, je ne l’ai pas élevée : je travaillais tout le temps. J’étais trop dans mon job. Maintenant j’ai fait mon choix de vendre, il faut accepter. Il faut savoir se détacher des propriétés.

 

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Tous les commentaires (6)
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VM Le 10 août 2024 à 20:58:43
Merci pg pour votre analyse réaliste. Nous sommes dans une course de fond et ce sont les plus persévérants physiquement et mentalement qui tiendront. Pour information, je suis suivie depuis 2 ans par une praticienne en MDR suite au cancer de mon mari (ce fut un combat) . Après cette épreuve, on peut tout surmonter y compris une crise....Il faut un moral d'acier et de la résilience.
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Jacky Le 09 août 2024 à 10:40:05
Bonjour, mon histoire pourrait ressembler à tant d'autres.... En 2018 mon père décide de faire sa donation. Rdv au centre de gestion avec un juriste. Vu les chiffres de l'entreprise ce n'est pas judicieux, vous allez fragilisé l'exploitation. Que nez ni il décide quand même. Puisque c'est ça moi je pars je vais pas trimé pour les autres (1 frère 1 soeur). Donc depuis le 1er avril 2020 je suis salarié dans le cognac (région qui marchais bien) en 4 ans j'en suis à mon 3ème patrons. L'exploitation familial est en liquidation judiciaire depuis le 4 janvier 2024. Toutes les vignes appartenant à mes parents c'est le beau frère qui les a prisent, les miennes location ou ventes et arrachage. J'ai tenu car bien soutenu
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Bernard Le 08 août 2024 à 21:01:54
Merci pour votre témoignage, votre prise de parole va aider d'autres personnes. Ce n'est que du matériel, vous l'avez parfaitement dit.
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Elisabeth Le 08 août 2024 à 10:04:01
Cathy, Je suis de tout coeur avec toi. Ma situation est un peu différente mais similaire en même temps. Le modèle familial tient tant que tiennent nos parents. Le jour où ils sont fatigués, il faut savoir dire stop. C'est un crève cœur, mais il faut rebondire. Comme tu dis, ce n'est que du matériel. Mes garçons n'ont pas voulu reprendre et se dirigent vers d'autres voies professionnelles (informatique, cybersecurité et boulangerie-pâtisserie). Avec les parents, nous avons essayé de vendre la propriété très bien située sur un magnifique terroir. Je n'ai pas réussi à vendre, alors nous venons de tout arracher. Depuis, le début d'année, j'ai trouvé un travail dans la traçabilité vigne et vin et depuis, je vois mes collègues de travail, je suis toujours en contact avec mes anciens collègues du milieu et je ne me pose plus ces questions : Comment vais-je payer mes salariés ? Comment vais-je faire pour payer ? Toujours payer. Le déclic d'arrêter s'est fait quand je rentrais de Bordeaux. J'avais emmené mon fils à la gare pour prendre son train. Lors du retour, toute seule dans la voiture à réfléchir, je me suis dit en pleurs : un accident est vite arrivé ! Et là, j'ai pris conscience que mes enfants, mon mari et mes parents étaient plus importants que ces satanées vignes. Courage à toi Cathy. Babeth
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augustin Le 08 août 2024 à 08:41:28
Saint Christoly est à 20 minutes de Saint Estephe , à 35 minutes de Pauillac et 40 minutes de Saint Julien . Les exploitants viticoles sont souvent des structures familiales , commercialisant leur vin en bouteille en aoc medoc , souvent abandonnées par les courtiers et négociants bordelais . Rémi Lacombe , issu du même village , a su établir une jurisprudence égalim 4 et Catherine Héraud nous apporte ce précieux témoignage sur le plan humain. Odg, fgvb , civb restent cois .Arrache cœur aurait dit Boris Vian ...
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pg Le 08 août 2024 à 07:33:39
Mon vignoble commence à être sérieusement impacté par un problème de ralentissement des ventes. Je l' ai déjà vécu , il y a 20 ans . Je pense ne pas pouvoir compter sur mes proches qui n'ont ni conscience de la gravité , ni les épaules assez larges pour faire face. Alors , je garde mes angoisses pour moi de façon à ne pas impacter mes proches . Mais , fort de mon expérience antérieure , j' ai décidé de faire appel à un psychologue. Je suis conforté dans cette idée par une émission radio qui traitait du suivi psychologique des grands champions. Ce serait aujourd'hui l' enjeu n° 1 de la performance. Teddy Riner se fait suivre , dans le cadre de son activité sportive , depuis qu'il est gamin. Voyez le résultat. Il est sans doute le plus grand judoka Français de l'histoire. Je me considère comme un marathonien. Courir , souffrir , mais , tenir ! Ca va être dur , très dur . Mais , ce qui importe c' est de regarder l'horizon , garder la tête froide et continuer à avoir des projets. Reste à sauter le pas et trouver le bon professionnel qui saura m' écouter. Mon appellation , contrairement à tant d' autre , me semble réagir vite et bien . Mais , vendre est un exercice difficile et l'inertie est grande dans ce domaine. Entre le moment où l'on mets en place la stratégie , les vendeurs en ordre de bataille ( car il s' agit bien d'une bataille ) et les résultats , il se passe un temps toujours trop long... D'où l'utilité du soutien psy ...
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