a question est aguichante : "le biocontrôle est-il opérant ?" Posée par le séminaire de la chaire Attentes Sociétales, Vins et Vignobles (ASVV) et le cluster Inno’vin (pour le projet de recherche Vitæ) ce 10 avril en banlieue bordelaise à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV), l’interrogation monte en puissance dans le vignoble où la réduction des produits phytosanitaires disponibles (entre réglementations imposées et certifications environnementales) et l’optimisation des coûts de production (pour gagner en rentabilité malgré les marchés contraires) se heurtent à une météo mettant sous pression les rendements (avec d’importants dégâts de mildiou ces derniers millésimes dans le grand Sud-Ouest).
« On essaie d’avoir une approche pragmatique des biocontrôles. Il y en a beaucoup sur le marché. Certains sont très établis comme les phosphonates ou les huiles essentielles qui sont incorporés dans notre routine. Mais pour le reste » esquisse Anne-Charlotte Monteau-Tiquet, responsable de l’innovation des cognacs Boinaud (600 ha vignes en Charente), qui mobilise « une plateforme d’essais pour faire des crash-tests (placettes randomisées pendant 3 ans selon les modalités proposées par les fournisseurs et un témoin de vraisemblance traité au cuivre et au soufre) ». Car il n’y a pas de formule imparable pour réussir sa protection du vignoble par les biocontrôles : les trous dans la raquette pouvant coûter un rendement précieux.


« Ça nécessite des adaptations comme il y a des efficacités très partielles » indique Anne-Charlotte Monteau-Tiquet, pour qui « le but c’est déjà d’établir une pharmacopée en laquelle on a confiance. Mais il faut aussi ouvrir l’œil. On va faire plus attention aux conditions météo, au type de sol sur la parcelle, à la manière dont la vigne est conduite, si elle est à un stade critique… Ça nécessite vraiment d’être sur le terrain pour identifier le risque au maximum et pour pouvoir réagir. Et pas seulement remplir le pulvérisateur et partir. Ça demande beaucoup d’observation et de prophylaxie. »
Biocontrol freak
Surtout pour les biocontrôles les moins maîtrisés, alors que dans les usages « on s’aperçoit d’une dominance des produits à l’efficacité connue et relativement stable. On trouve les soufres et les phosphonates, qui ne sont pas vraiment des produits nouveaux » pointe Laurent Delière, ingénieur de recherches sur la santé de la vigne à l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture et l’Environnement (INRAE), notant que leur usage permet de substituer ou compléter des phytos (comme pour le soufre). Pour aller plus loin, il y a « besoin de nouvelles substances et d’éléments de compréhension de la variation d’efficacité. Et surtout d’articuler l’usage du biocontrôle avec d’autres leviers, c’est plus compliqué » pointe le chercheur bordelais, appelant à « s’intéresser à de nouvelles cibles du biocontrôle. On vise toujours les même cibles que les produits phytosanitaires et ça peut être compliqué. » De nouvelles pistes sont en effet ouvertes par la recherche, pour l’instant plus fondamentale qu’appliquée (voir encadré).
En l’état, demeure pour les vignerons « le problème de la variabilité de l’efficacité, notamment pour les biocontrôles contre le mildiou. On ne peut pas aujourd’hui garantir que ça va fonctionner à 100 % et donner une stratégie clé en main » pose Camille Errecart, chargée de mission de la protection du vignoble à la chambre d'Agriculture de la Gironde (CA33), qui note cependant que le biocontrôle permet de lever des contraintes en cas de Zones de Non-Traitement (ZNT) avant d’avoir à arracher ou planter des cépages résistants (ou envisager un recouvrement physique, comme avec le Viti-Tunnel).


Mettant les pieds dans le plat, Tristan des Ordons, le directeur du cabinet de conseil Phloème (6 000 hectares de vignes suivies en Gironde, Charentes et Val de Loire), pointe que « le biocontrôle c’est pour les riches ». Se basant sur le diagnostic technico-économique de 45 domaines à Bordeaux, le consultant note que « les viticulteurs qui utilisent le plus de biocontrôles, au-delà de 70 % [de leurs traitements], ce sont les plus riches, avec un chiffre d’affaires au-delà de 150 000 €/ha et un prix moyen de vente au-delà de 40 € la bouteille ». Pour Tristan des Ordons, « il y a un seuil. Utiliser un peu de produits de biocontrôle, c’est facile (pour le soufre, les phosphonates…). Dès qu’il faut aller au-delà c’est plus compliqué de systématiser. Pour une première raison : on augmente le nombre de passages. La deuxième raison est l’obligation : en bio, il n’y a que ça pour gérer certaines maladies. » Pour le consultant, aller vers le 100% biocontrôle ajoute trop de charges, d’embêtements et de risques pour des viticulteurs devant traiter le moins et le plus efficacement possible. Ce alors qu’il existe, encore, « des solutions beaucoup plus simples et moins coûteuses ».
Reste le problème du mildiou pour Tristan des Ordons, qui tranche : « on peut passer au 100 % biocontrôle et à la prophylaxie pour l’oïdium, les insecticides, le black-rot, le botrytis... Mais pas pour le mildiou*. » Sachant que pour lui, « ceux qui disent en Gironde qu’ils maîtrisent le mildiou, ce sont des menteurs. Ou alors ils réussissent avec beaucoup de traitements, ce qui n’est pas satisfaisant. » La principale lacune des biocontrôles pour le consultant est de ne pas savoir quand passer à des produits plus costauds : « quelquefois [le biocontrôle] ça marche et parfois non. Ça n’est pas grave. Ce qu’il faut, c’est savoir pourquoi ça n’a pas marché et quand est-ce qu’il aurait fallu arrêter d’utiliser le produit pour passer au cuivre ou du super sans plomb. Si on utilise les produits de biocontrôle au moment où il est utile de passer à des produits conventionnels, ça évite de prendre une dérouillée […] quand on rentre dans la dynamique épidémique. » Pour le consultant, il ne faut pas confondre biocontrôles et chimie verte, sinon le risque de sortie de route est grand.
Ça ira mieux en 2030
La critique de l’inefficacité des biocontrôles est à recadrer pour Laurent de Crasto, le PDG de la start-up girondine Immunrise Biocontrol (développant depuis dix ans un antimildiou à base d’algues marines). Reconnaissant qu’aujourd’hui « un produit de biocontrôle peut être déceptif », l’entrepreneur souligne que « ce n’est pas pour ça que le biocontrôle n’est pas efficace. Il faut prendre le temps pour les développer et des moyens pour le rendre stables, efficaces et avoir un effet à la hauteur des attentes des vignerons d’aujourd’hui ». Indiquant qu’entre le démarrage d’un projet R&D de biocontrôle et sa mise en marché il fallait 15 ans minimum (la moitié pour le développement et la moitié pour l’homologation), Laurent de Crasto note que les produits actuellement commercialisés ont été développés dans les années 2005 à 2010 où « c’était super d’avoir 10 à 15 % d’efficacité comme les produits chimiques » étaient à disposition en traitement d’urgence. Ce qui n’a plus rien à voir pour lui avec la situation actuelle où l’objectif est de substituer des matières actives chimiques par des alternatives plus naturelles dans un contexte de changement climatique.
Ce décalage temporel est pour l’entrepreneur une raison de cette incompréhension entre les biocontrôle actuellement disponibles et les attentes de la filière : « il y a du scepticisme, c’est normal, comme ça ne marche pas. Mais à l’époque du développement on n’en attendait pas autant qu’aujourd’hui d’un biocnotrôle » plaide Laurent de Crasto, estimant qu’une nouvelle génération de produits de biocontrôles sortiront en 2030. Sachant que le développement par des start-ups pendant des années a un coût sans rentrée d’argent : ce qui les pousserait à aller le plus vite possible au marché, quitte à avoir des produits qui ne sont pas finalisés. Ayant revu sa formule après des essais en plein champ, Immunrise affirme sa volonté de « diviser au moins par deux l’IFT » (Indice de Fréquence de Traitement). En somme, il ne faut pas être trop pressé dans le vignoble pour ne pas risquer d’être déçu « s’il n’y a pas d’efficacité dans le bidon ». Bref, pour Laurent de Crasto, les biocontrôles peuvent être très opérant : la preuve avec les porte-greffes américains, technique de biocontrôle ultime pour vivre avec phylloxéra sans pesticides.
* : Ni les traitements obligatoires contre la flavescence dorée.
« Je ne vais pas vraiment pouvoir dire si le biocontrôle est opérant, mais je vais présenter des pistes pour le rendre plus opérant » pose la docteur Corinne Vacher, directrice de recherche à l’INRAe. La responsable de l'équipe "Microbiote de la Vigne" à Bordeaux explore ainsi la piste de l’intégration « du microbiote aux futures stratégies de biocontrôle » avec la recherche de « nouveaux antagonistes des agents pathogènes du mildiou » dans le sol et les plants de vignes. Ayant construit une collection microbienne ayant des effets sur le mildiou (du moins en laboratoire sur des disques foliaires), la chercheuse espère pouvoir présenter de premiers résultats de terrain dans quelques années. Sachant qu’une thèse récente (de la docteur Paola Fournier), pointe que le microbiote varie selon la sensibilité de parcelles équivalentes au mildiou. Et que le sujet va être travaillé sur le terrain dans le cadre du Plan d’action stratégique pour l’anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures (PARSADA).
Notant qu’« il ne faut pas considérer les Stimulateurs de Défense de la Plante (SDP) et les biostimulants comme une stratégie à part entière », la docteur Marielle Adrian, la directrice de l'Institut Universitaire de la Vigne et du Vin (IUVV), appelle à les « intégrer dans des approches plus globales et systémiques ». Au sein de l’équipe "Immunité de la vigne", la chercheuse bourguignonne cherche dans l’immédiat à identifier de nouveaux « SDP plus efficaces que ceux disponibles », en testant également les effets boostant des SDP et Désinhibiteurs de la Défense de la Plante (DDP). De premiers essais en val de Loire sont encourageants pour réduire les doses de cuivre sans perdre de rendement rapporte Marielle Adrian, restant prudente sur des solutions et associations qui « ne seront pas livrées demain ». Des essais dans le vignoble étant nécessaire.