vant 2014, avez-vous utilisé des phosphonates pour lutter contre le mildiou, quand ils n’étaient pas considérés comme substances actives dans les produits phytosanitaires ? Quels étaient leurs effets sur le rendement et la santé des vignes (feuillage, réserves pour l'année suivante) ?
Thomas Walz : Oui, j'ai utilisé les phosphonates avant 2014, notamment pendant et après la conversion en bio. Ils nous ont permis de survivre pendant cette transition. Leur effet protecteur est optimal et leur application simple. Le coût est aussi bien plus abordable que les autres alternatives. Sans cette solution efficace, je n'aurais pas pu passer à l'agriculture biologique.
Avez-vous subi de lourdes pertes de récolte à cause du mildiou et des difficultés à protéger vos vignes ? Le climat allemand est certes humide, mais certains terroirs atlantiques comme Bordeaux font face à des conditions similaires et parviennent à pratiquer l'agriculture biologique sans phosphonates.
Les années 2016, 2019, 2021 et 2024 ont été catastrophiques pour la gestion du mildiou. Seuls des traitements réguliers à base de cuivre (dans les limites légales autorisées) nous ont permis d'avoir une récolte. Le coût des applications tous les trois jours est énorme, et la pression économique est très forte. Mais le pire, c'est le stress mental pour le vigneron : savoir qu'une solution existe et ne pas avoir le droit de l'utiliser ! Cette situation est intenable. Il est absurde d'interdire les phosphonates et de nous laisser impuissants face à la destruction de notre récolte. C'est pourquoi, en tant que viticulteur biologique, mais aussi en tant que vice-président du Deutscher Weinbauverband (l'Association allemande des viticulteurs), je me bats depuis des années pour l'autorisation des phosphonates.
En France, trois arguments principaux disqualifient cet antifongique pour les vignerons bio. Le premier concerne son origine synthétique, qui rend son usage philosophiquement inacceptable pour ses opposants. Comprenez-vous ce raisonnement ? Ne craignez-vous pas que son autorisation ouvre la boîte de Pandore et dilue le sens du label bio ?
Non, cette crainte est infondée. D'autres substances autorisées en bio sont également d'origine synthétique. Le soufre, par exemple, est aussi traité industriellement. De plus, des études scientifiques ont démontré que les phosphonates existent à l'état naturel. La production des phosphonates est donc aussi naturelle que n'importe quel autre produit contenant du cuivre. Ils ne sont pas non plus extraits quelque part dans une mine à ciel ouvert et mis dans des sacs ! Il ne s'agit pas de philosophie, mais de viticulture. Mes clients veulent que je travaille en harmonie avec la nature, pas que je m'enferme dans un dogme absurde.
Le deuxième argument concerne son action systémique, qui contredit également les principes de l'agriculture biologique. Comprenez-vous cette opposition ?
Je ne comprends pas du tout cette objection. En fin de compte, l'eau a aussi un effet systémique. Alors où est le problème ? Avec de tels arguments, nous ne pouvons pas avancer. J'ai de plus en plus l'impression que le refus est fondé sur des raisons de concurrence. En Allemagne, nous avons besoin des phosphonates et c'est la seule façon de nous maintenir sur la voie biologique. Notre objectif est de rendre possible la culture biologique dans toutes les régions où l'on cultive traditionnellement la vigne. C'est également ce que prévoient les recommandations du Groupe à haut niveau. Suivant ce principe de base, tous les viticulteurs devraient pouvoir se lancer dans la culture biologique ! Ou voulons-nous fermer un marché pour éviter que d'autres viticulteurs ne convertissent leurs vignobles à l'agriculture biologique ?
Le troisième argument concerne les résidus dans les vins et la difficulté à distinguer les métabolites des phosphonates de ceux du fosétyl-aluminium...
Cet argument ne tient pas. Toute personne ayant suivi des cours de chimie sait qu'il est possible de faire cette distinction. Certes, on retrouve parfois des traces de fosétyl dans certains vins bio importés, mais les autorités allemandes font confiance aux organismes de contrôle des pays exportateurs. De plus, si l'application des phosphonates est limitée à la période pré-florale, aucun résidu n'apparaît dans le vin. Et cette limite de temps pour l’application fait également partie de notre demande à la commission !
Le projet allemand limite l'usage des phosphonates à la période pré-florale pour réduire les pesticides, mais ses opposants français estiment que c'est insuffisant et que cela ne résout pas la question de leur origine synthétique.
C'est répéter un argument déjà abordé. Alors, où puis-je trouver du cuivre à l'état naturel que je pourrais ramasser à la pelle ? Je sais que ces trois arguments sont avancés par les associations bio françaises. Mais je me demande si ce sont vraiment les viticulteurs bio qui sont organisés dans ces organisations, ou si ce ne sont pas plutôt de producteurs bio d’autres cultures qui donnent le ton dans ces organisations ? Dans le secteur, on suppose que la plupart des viticulteurs bio ne sont pas organisés dans ces organisations, mais seulement dans les syndicats viticoles normaux. C'est également le cas en Allemagne. Il faudrait donc interroger les associations de producteurs et pas seulement les associations bio qui, au final, représentent une petite minorité de viticulteurs bio. En Allemagne, le Deutscher Weinbauverband et les associations bio tirent à la même corde, pour le bien des viticulteurs bio !
Les Français craignent que l'autorisation des phosphonates ne vise réellement qu'à réduire les doses de cuivre (actuellement limitées à 28 kg/ha sur 7 ans).
Cette crainte n'est pas pertinente. La réduction du cuivre est déjà une priorité au niveau européen. Mais même avec les phosphonates, nous aurons encore besoin de cuivre. Avec les phosphonates, nous avons un produit qui complète le cuivre et non un produit qui le remplace. Les phosphonates sont un complément et non une alternative au cuivre dans le cadre d'une stratégie de minimisation. Il appartient à chaque État membre ou plutôt à chaque viticulteur de décider s'il veut continuer à travailler uniquement avec du cuivre ou s'il veut utiliser les phosphonates en complément. Rien n'est enlevé à nos collègues du Sud de l'Europe.
Au final, l’opposition politique s'est faite entre Espagne, France, Italie et Portugal contre l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la république Tchèque. L’Europe du Sud contre celle du Nord ? Ou les gros producteurs contre les plus petits ?
Je vois cette division, mais je crois en l'esprit du bio. Nous devons tous avancer vers plus de viticulture biologique. J'espère une solution européenne juste et équitable.