ls sont une trentaine à s’être donné rendez-vous ce 25 mars au domaine Huet à Vouvray (Indre-et-Loire). Botanistes ou membres d’associations environnementales, ces spécialistes en biodiversité de la région sont venus à la découverte des plantes "compagnes des vignes". « Le plan d’action national en faveur des plantes messicoles menacées vient de s’ouvrir aux plantes des vignes et des vergers, explique Sarah Ciré, chargée d’études au Conservatoire botanique du bassin parisien, et organisatrice de la journée. En Centre Val de Loire, nous avons établi une liste d’espèces prioritaires à protéger ». Parmi elles, la tulipa sylvestris, ou tulipe sauvage des vignes, la star de la journée.
Décimée à l’arrivée du désherbage chimique après-guerre, cette gracile fleur jaune a quasiment disparu des vignes de Touraine. Sauf au domaine Huet à Vouvray. « Le vignoble est certifié bio depuis plus de 30 ans, et n’a jamais reçu d’herbicides. Nous avons la chance d’avoir des milliers de tulipes sauvages dans nos vignes », sourit Benjamin Joliveau, chef de culture de ce domaine réputé dans l’appellation.


Et ces tulipes sont résilientes au travail du sol. « Nous faisons un renchaussage des pieds de vigne après les vendanges. En sortie d’hiver, nous griffons l’inter-rang enherbé, puis nous passons la décavaillonneuse sur 15 à 20 cm sous le rang, alors que les tulipes sont écloses. Nous travaillons ensuite le guéret avec des lames. Mais le feuillage des tulipes fait un joli tapis dense qui laisse peu place aux adventices ».
« Les tulipes sont si nombreuses dans ces vignes qu’elles résistent à l’entretien mécanique, relève Clément Coroller, chargé de mission biodiversité et responsable Environnement au Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement du Val de Loire (CPIE Val de Loire). Avec une quinzaine de vignerons bio de Vouvray, Bourgueil, Chinon, Clément Coroller prélève depuis 2021 des bulbes de tulipes au domaine Huet pour les transplanter dans d’autres vignes. Comme celles de Thomas Puéchavy à Vouvray, qui a vu sa première tulipe fleurir l’an dernier. « J’ai mis un panneau pour signaler l’emplacement des bulbes et je fais attention à ne pas y passer ma décavaillonneuse et mes lames », a-t-il expliqué face aux botanistes en visite.


Pour Clément Coroller du CPIE, la capacité de résilience de la tulipe au travail du sol doit désormais être étudiée dans les vignes où elle a fait son retour. « La fréquence et la profondeur des travaux d’entretien du sol, et la nature du sol, ont une influence sur la flore des vignes. Mais les outils peuvent favoriser la dispersion des bulbes de tulipes. Les vignes à tulipes n’ont pas à être mises sous cloche, même si nous avons vu que du travail du sol avant un risque de gel avait diminué les populations de l’espèce ». Et la tonte de l’enherbement est également néfaste à l’implantation « naturelle » de la tulipe, comme les botanistes ont pu le constater dans une vigne en bio, voisine de parcelles du domaine Huet.
D’autres espèces peuvent en revanche s’épanouir dans des terres ayant connu des interventions profondes. « Dans des vignes qui ont été très ‘chamboulées’, après des arrachages et des replantations par exemple, on peut voir les coquelicots revenir, puis refluer », poursuit Clément Coroller.
Après le domaine Huet, les spécialistes en biodiversité ont arpenté les vignes de Philippe Ivancic, vigneron bio à Montlouis, aux inter-rangs enherbés et aux cavaillons entretenus avec des lames. « J’y ai vu une belle diversité floristique », déclare Chloé Gislot, chargée d’études à la Sepant, une association environnementale locale. Si les botanistes n’y ont pas trouvé les espèces présentes sur leur liste, ils ont cependant été ravis de débusquer dans ces vignes une muscari, une sorte de jacinthe, et une autre plante remarquable, de la mibora minima.