Si je m’étais versé 1 million d’euros en dividende, je ne serais pas là. Au lieu de ça, j’ai fait tourner cette somme entre mes sociétés » soupire Patrick Meynard, le propriétaire des châteaux Lalaudey et Pomeys (SCEA de 25 hectares de crus bourgeois en AOC Moulis-en-Médoc) et de l’entreprise L. Meynard et fils (SARL bordelaise spécialisée dans le clissage : la fabrication de filets décoratifs pour les bouteilles de vin), entendu ce 23 janvier par la quatrième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux (spécialisée dans les affaires économiques). Poursuivi pour six chefs d’accusation après 9 années d’instruction, Patrick Meynard se voit notamment reprocher des abus de biens sociaux entre 2009 et 2016 : l’enquête concluant à des avances de trésorerie de 1,3 million d’euros provenant de la holding de Patrick Meynard (non déficitaire) et de la SARL L. Meynard (rentable avec 3 millions € de chiffre d’affaires) pour éponger les déficits chroniques de la SCEA Lalaudey et Pomeys (poursuivie pour recel).
« Si je lèse quelqu’un, ce n’est que moi que je lèse » plaide Patrick Meynard en tant qu’actionnaire unique et majoritaire des sociétés en cause. Mais la justice tique sur l’absence entre les sociétés impliquées de convention de trésorerie (définissant les modalités de prêts et de remboursements, quasiment inexistants). L'instruction reproche des avances indues, génératrices de frais bancaires et d’appauvrissement de la SARL, avec une réduction de personnel et des tensions avec les fournisseurs, ainsi que d’autres soutiens indus (comme des détachements de salariés sans contrepartie). Que la SCEA Lalaudey et Pomeys soit « structurellement déficitaire en exploitation, je ne le conteste pas » déclare à la barre Patrick Meynard. « La SCEA ne présente pas de rentabilité » réplique le président de la quatrième chambre, Cyril Vidalie. « Comme toutes les SCEA. Sa valeur, c’est son terrain » plaide maître Sylvain Galinat, l’avocat de Patrick Meynard et de la SCEA Lalaudey et Pomeys, qui relève qu’à son achat en 2007, la SCEA coûtait 900 000 € pour les vignes et les bâtiments, mais qu’en 2017 une proposition de rachat d'un négociant s’élevait à 4 millions €, témoignant de la montée en gamme des crus bourgeois de Patrick Meynard.
Présidences
Ce dernier n’est pas n’importe qui dans le vignoble médocain, ayant obtenu le repêchage en 2022 du château Pomeys dans le classement 2020 des crus bourgeois, et étant depuis fin 2023 le président du Conseil des Vins du Médoc, ainsi que de l’AOC Moulis-en-Médoc (qu’il avait déjà présidé de 2016 à 2019). Des titres qui n’ont pas été évoqués lors de l’audience, la procureure Marie-Noëlle Courtiau-Duterrier se focalisant sur la carrière précédente de Patrick Meynard : celle d’expert-comptable et de commissaire aux comptes, qu’il a arrêté en 2005 au rachat de la SARL L. Meynard (avant d’acquérir Lalaudey en 2007 et Pomeys en 2008).
« À la quatrième chambre, nous voyons de tout. Quand un jeune entrepreneur autodidacte fait la confusion entre lui-même et les différentes sociétés qu’il a montées, il m’est arrivé de plaider la relaxe et d’être suivie. Mais quand un expert-comptable de formation, qui a été, cerise sur le gâteau, commissaire aux comptes, vous dit à la barre qu’il ne comprend pas l’abus de biens sociaux s’il prend dans la société A et le met dans la société B comme il est l’actionnaire unique. Les bras m’en tombent » s’agace la procureure interpellant Patrick Meynard : « l’abus de biens sociaux, c’est prendre l’argent de la société A pour le mettre à la société B sans convention de trésorerie. Ce qui a pour conséquence de mettre en difficulté, même ponctuellement, la société A. »


« Sortir de la poche de gauche pour mettre dans la poche de droite, je n’avais pas conscience que c’était un délit à partir du moment où il s’agit du même groupe » se défend Patrick Meynard, qui indique qu’en 2017 il n’était plus expert-comptable depuis 12 ans. Rappelant qu'il n'a réalisé aucun enrichissement, il explique n’avoir ressenti aucun intérêt à signer une convention de trésorerie « de moi à moi. Je ne le jugeais pas utile. »
Réquisitions contre relaxe
Lourdes, les réquisitions du parquet sont pour la SCEA Lalaudey et Pomeys de 80 000 € d’amendes, pour Patrick Meynard d’un an de prison avec sursis, de 50 000 € d’amendes assortis d’une interdiction de gérer pendant 5 ans et d’une interdiction d’activité professionnelle dans le domaine viticole. « Quand on triche de manière éhontée, on en paie l’addition » tranche Marie-Noëlle Courtiau-Duterrier. Plaidant la relaxe, Sylvain Galinat réfute le terme d’abus de biens sociaux : « vous présupposez des avances de trésorerie. Mais il n’y a pas d’avances de la SARL L. Meynard à la SCEA Lalaudey et Pomeys, ce sont des achats de vins en primeur à terme. »
Alors que l’interrogatoire d’une ancienne comptable indique que ces achats étaient une pure écriture sans réalité physique, Patrick Meynard déclare que « toutes les avances de fonds sont justifiées par des achats de vin », la SARL L. Meynard ayant une activité de négoce. Une analyse bien différente de celle de sa propre comptable relève le président de la quatrième chambre. Déclarant ne pas comprendre « l’acharnement » de ses salariés, Patrick Meynard estime qu’« ils avaient prévu de reprendre la société [L. Meynard] à ma place, voici le fonds de l’affaire. Je conteste quasiment tout sur ce que dit ma comptable : il y a eu derrière des contrôles douaniers, fiscaux [qui valident l’exactitude des stocks]. On a fait une enquête à charge, on me saisit des sommes colossales et on met 9 ans pour me convoquer au tribunal ».
Corbeau
La procédure a en effet été initiée après une lettre anonyme reçue par le parquet fin août 2016. Ce courrier « dénonçant votre gestion hasardeuse de la SARL L. Meynard et fils » rapporte le président Cyril Vidalie, rapportant les propos du délateur : « avec une détérioration de sa situation pour le personnel, l’outil de production, les relations avec les partenaires en raison du déficit de deux châteaux supporté par la société ». Une lecture partagée par le commissaire aux comptes des sociétés de Patrick Meynard, qui a résilié sa mission de certification des comptes après son audition par les enquêteurs.
« Qu’il y ait une cabale des salariés et de l’expert-comptable, c’est sans doute le cas comme il y a une lettre anonyme, mais ça ne nous intéresse pas. Nous voulons voir ce qu’il en est quand le lièvre est levé » évacue la procureure Marie-Noëlle Courtiau-Duterrier, pour qui le cœur du dossier reste « la somme astronomique qui a transité pendant 7 ans : 1,3 million €. Il n’y a pas eu de remboursement. La SCEA Lalaudey et Pomeys n’a pas les reins assez solides, et ce de manière structurelle. »


« Comment peut-on caractériser un abus de bien social dans ce dossier, même en instrumentalisant l’absence de convention de trésorerie ? » plaide Sylvain Galinat, rétorquant qu’il n’y aucun élément matériel de portage salarial de la SCEA par la SARL autres que les déclarations de la comptable, qu’il n’y a pas d’appauvrissement alors que la trésorerie de L. Meynard et fils est restée élevée et a même augmenté alors que son endettement restait stable (100 000 €) et que son bénéfice était conséquent sur la période (960 000 €). « Patrick Meynard aurait pu prendre ces bénéfices pour lui, il les a concédés en achetant du vin pour enrichir la structure. Et il a bien fait » poursuit l’avocat bordelais, pointant que son client a également vendu de l’immobilier et abandonné des comptes courants d’associé pour soutenir la SCEA (à hauteur de 900 000 €).
Il n’en reste pas moins que les châteaux Lalaudey et Pomeys sont « sous perfusion » pointe le président du tribunal après qu’il ait été fait état de versements toujours actifs de la SARL vers la SCEA (désormais encadrés par une prise de participation). « On ne le nie pas » répond Patrick Meynard, qui explique que sa SCEA est trop endettée depuis le départ. « Elle aurait dû déposer le bilan » réagit le président. « Pour être récupérée à bas prix par un partenaire bancaire qui l’aurait revendu ? » s’étrangle maître Sylvain Galinat. « Regrettez-vous de ne pas avoir signé l’offre d’achat à 4 millions € quand vous l’aviez eu ? » pose le président. « Oui je le regrette. C’était l’année du gel, je croyais que ce négociant voulait profiter de la situation » indique Patrick Meynard.
Le jugement sera rendu le 31 mars.