Un record ! », lâche Olivier Chatenet, propriétaire du Moulin de Lagnet, à Saint-Christophe-des-Bardes, en Gironde. En 2024, ce vigneron bio a dû multiplier les interventions, ne réalisant pas moins de vingt-quatre traitements au cuivre sur ses 15 hectares de vignoble en appellation Saint-Émilion pour faire face à une pression de mildiou exceptionnelle. Résultat : sur la campagne, un total de 6 kg/ha de cuivre métal appliqué. « On avait déjà franchi un cap en 2023, avec dix-sept traitements et un total de 4 kg/ha de cuivre métal, contre une moyenne habituelle de douze traitements pour moins de 4 kg/ha, détaille ce pionnier de la viticulture biologique, certifié depuis 2000. Mais l’an passé, les contaminations ont été particulièrement précoces. On a donc dû intervenir tôt, dès le 1er avril. Ensuite, avec les pluies incessantes et le lessivage, il a fallu sans cesse renouveler la protection tout au long de la saison. »
En 2023, Olivier Chatenet a sauvé sa récolte. Mais cela n’a pas été la même histoire en 2024. « Nous avons produit quasiment moitié moins, à peine 25 hl/ha, chiffre-t-il. Mais le mildiou n’est responsable que de 20 % des pertes. Le reste s’explique par la coulure, le millerandage, et des attaques de tordeuse de troisième génération, absentes l’année précédente. »
Réduire les doses de cuivre ? « Jusqu’à présent, nous n’avions jamais dépassé les 4 kg/ha/an, précise ce vigneron bordelais. Nous avons encore un peu de marge, puisqu’il est possible de lisser l’usage sur sept ans, avec un plafond fixé à 28 kg/ha. Mais l’accélération du changement climatique nous pousse à réfléchir. »
Dans l’idée de s’adapter, il explore plusieurs pistes. « La solution la plus rapide consiste à optimiser le réglage des pulvérisateurs afin d’améliorer l’efficacité des traitements, explique Olivier Chatenet. Nous travaillons en ce sens avec l’appui de conseillers techniques. » Autre levier d’action : l’encépagement. Il mise sur des cépages moins sensibles au mildiou que le merlot, qui domine aujourd’hui à 98 % ses parcelles. L’an dernier, il a introduit 70 ares de cabernet franc, et va ajouter un demi-hectare supplémentaire l’année prochaine.
À Bellevigne, en Charente, Jean Pasquet, propriétaire du domaine Jean-Luc Pasquet certifié bio depuis trente ans sur 15 ha en AOC Cognac, a lui aussi beaucoup traité en 2024. « Nous avons réalisé seize passages, contre treize l’an dernier et une dizaine habituellement », expose-t-il. Soit 5,4 kg/ha de cuivre métal. Comme son confrère bordelais, il a traité plus tôt, le 15 avril au stade deux-trois feuilles étalées. « Entre le 13 et le 19 mai, j’ai dû intervenir trois fois à cause des pluies incessantes qui lessivaient les produits, souligne-t-il. Ce qui explique le différentiel par rapport à l’an passé. » Cette stratégie lui a permis de s’en sortir : il a produit 8 hl d’alcool pur par hectare, au-dessus de la moyenne des vignerons bio dans les Charentes, qui se situe autour de 6 hl AP/ha.
« Jusqu’à présent, on a réussi à respecter le plafond de 28 kg/ha de cuivre métal sur sept ans, indique-t-il. Mais l’an prochain, il ne faudra pas dépasser les 4 kg/ha ou risquer de ne plus être dans les clous. » Pour ce qui est de réduire les doses, il ne voit pas de remède miracle pour le moment. « En 2024, nous avons appliqué de 100 à 150 g/ha de cuivre en début de saison, entre 400 et 600 g/ha en milieu de saison, et autour de 300 g/ha à la fin. S’il faut réduire à l’avenir, on diminuera les quantités apportées en début de saison et en fin de saison, mais surtout pas à l’encadrement de la fleur », indique-t-il. En attendant, il va réintroduire dans son programme 2025 les tisanes et décoction de plante à base de prèle, d’ortie et d’osier, abandonnées l’an passé dans le but de réduire les coûts de traitement. « Ce sont des produits onéreux, justifie-t-il. J’ai réussi à trouver un fournisseur qui propose des tarifs plus avantageux. »
Comme ses confrères, Thomas Frissant, propriétaire du domaine du même nom, 14 ha en bio à Mosnes, en Indre-et-Loire, a eu maille à partir avec le mildiou en 2024. En tout, il a réalisé treize traitements, au cours desquels il a appliqué en tout 5 kg/ha de cuivre métal. En 2023, autre année pluvieuse, il en avait effectué neuf, pour un total de 3,4 kg/ha. « C’est la première fois que je dépasse la limite de 4 kg/ha, à cause des pluies incessantes et du lessivage », affirme ce jeune vigneron, en bio depuis 2019. Et encore ! Il a fait l’impasse sur un traitement en début de saison car certaines de ses parcelles avaient subi le gel. Il n’a pas non plus traité en août. « Avec la coulure conjuguée au mildiou qui avait gagné du terrain sur certaines parcelles, j’avais déjà des pertes, explique-t-il. Je n’ai pas voulu renchérir sur les coûts de traitement pour rien. »
À l’arrivée, la récolte est maigre : 12 hl/ha, contre 42 hl/ha en 2023, où il avait déjà eu du mildiou mais moins, car des périodes bien sèches avaient suivi les pluies.
Ce viticulteur mise sur les produits de biocontrôle pour diminuer les doses de cuivre. En début de saison, il associe à ce dernier une tisane à base de prèle, et de la lipoxyline (Ecobios) à la fleur pour renforcer les défenses des plantes. À chaque traitement, il ajoute une préparation à base d’extraits d’algues. « Il faut aussi être très pointilleux sur le réglage des pulvérisateurs », précise-t-il. Cette année, il prévoit ainsi de s’équiper d’un second pulvérisateur à jet porté afin d’éviter les dérives et d’obtenir une meilleure répartition de la bouillie sur la végétation. Pour ces vignerons, 2024 est une année à oublier. Tous espèrent un retour à la normale en 2025.
Caroline Chenu, propriétaire du domaine Louis Chenu, 9,5 ha en bio à Savigny-lès-Beaune, en Côte-d’Or témoigne « Depuis dix-huit ans que nous sommes en bio, c’est la première fois que nous dépassons le seuil de 4 kg/ha de cuivre métal. Avec treize traitements sur la campagne, nous avons appliqué 4,8 kg/ha en 2024, contre 3 kg/ha en moyenne. Malgré cela, notre programme n’a pas été suffisant : nous n’avons produit que 15 hl/ha. Nos voisins qui ont appliqué 6 à 7 kg/ha dont, pour certains, jusqu’à 1 kg à la floraison, ont obtenu de meilleurs résultats. Mais je n’ai pas osé aller aussi loin. » « Jusqu’à présent, nous n’avons jamais dû recourir à des doses élevées sur notre secteur : 200 à 300 g/ha suffisaient ; on n’était pas habitué à en mettre plus. Actuellement, il pleut encore en Bourgogne. C’est l’hiver, c’est donc normal. Mais cela nous inquiète. Dans ce contexte, il ne faudrait pas que la possibilité de lisser les doses sur sept ans disparaisse. »