n négoce ne peut acheter du vin à prix abusivement bas juge le tribunal de commerce de Bordeaux ce jeudi 22 février. La Société Civile Fermière Rémi Lacombe (138 hectares de vignes, dont le château Bessan-Segur basé à Civrac-en-Médoc) remporte son procès contre les négoces Ginestet (famille Merlaut) et Excell (filiale de Cordier, groupe Invivo) pour 10 contrats d’achats passés en 2021 et 2022 avec un prix moyen du vin en vrac de 1 200 € le tonneau* quand le coût de production de la propriété est estimé à 1 600 € le tonneau. Le tribunal retenant un prix de vente de 1 500 € le tonneau (d'après les constatations du courtier assermenté près de la cour d'appel Henri Féret), Cordier est condamné pour dommages et intérêts à 202 072,3 € quand Ginestet l’est à 152 704,1 € pour « avoir fait pratiquer » au vigneron « des prix abusivement bas » indique le jugement, ajoutant une publication judiciaire du délibéré aux frais des négoces. « Je suis ravi » rapporte Rémi Lacombe, qui résume son objectif : « faire une première application de la loi Egalim ». Son attaque s’appuie en effet sur l’article 442-7 du Code de Commerce qui définit « le préjudice causé […] pour un acheteur de produits agricoles ou de denrées alimentaires de faire pratiquer par son fournisseur un prix de cession abusivement bas ».
Né de la loi Egalim, ce dispositif n’avait jamais été mis en application judiciaire depuis sa rédaction en 2019, ce qui avait animé les plaidoiries lors de l’audience ce jeudi 11 janvier. Pouvant avoir d’importantes conséquences sur la filière des vins de Bordeaux, et de France, mais aussi sur toute l’agriculture française. « Il y a un risque d'insécurité pour tout contrat signé : si l'on peut revenir deux ans après sur une transaction pour la motivation de prix abusivement bas... Alors qu'il n'est pas clairement indiqué dans la loi les indicateurs évoqués et les moyens de pression. Cela peut bloquer tout le marché des matières premières agricoles » craint un spécialiste de la place de Bordeaux. Encore faut-il que la condamnation fasse jurisprudence, car il est très probable que cette décision ira en appel, cassation, etc. « Tout le monde peut faire appel en France, mais mieux vaut avoir gagné la première bataille » pointe Rémi Lacombe, qui reconnaît que « d’autres vignerons risquent de bénéficier de mon audace » alors que les bas prix sont au cœur des revendications agricoles actuelles. À commencer par une manifestation vigneronne qui s’est tenue ce matin même dans le vignoble bordelais. « Les bas prix font crever une région qui est entravée, avec des gens soumis et acceptants » estime le vigneron médocain, qui « n’imagine pas qu’un courtier ne puisse évoquer de bas prix sans se voir répondre "attention"… Malheureusement, le monde agricole ne sait communiquer que sur les prix les plus bas. Cette condamnation démontre que c’est hors la loi de faire ça. »


« Quand David se sait plus petit que Goliath, il peut se faire plus grand » philiosophe Rémi Lacombe, pour qui « David peut se retourner contre Goliath quand il se fait confiance, qu'il est fier, qu'il se respecte et qu'il a des cojones ». Reconnaissant qu’il n’a plus sa carrière viticole devant lui (il était encore pris l’an passé dans un imbroglio pour la cession de son domaine à un groupe chinois), le vigneron regrette l’absence de représentants des institutions bordelaises lors de l’audience du 11 janvier dernier : « nous avons une région qui brûle ses produits finis, qui arrache son outil de production… Et les présidents et directeurs [de la filière] ne viennent pas écouter celui qui dit que la situation ne peut plus durer ? » Pour un expert du monde judiciaire, cette décision peut faire date, mais « c'est assez ironique que cela bénéficie au vigneron qui bradait ses vins quand il vendait son château... »
* : Plus précisément de 1 184 € le tonneau pour 7 transactions avec Cordier et 1 157 € pour 3 contrats avec Ginestet, soit des prix inférieurs de 24 et 26 % par rapport aux coûts de revient indique le tribunal soulignant que « ces différences de prix, constatées pour chacune des défenderesses, caractérisent un prix abusivement bas qu'elles ont fait pratiquer, sans respecter le formalisme imposé par la loi, à la société civile fermière Rémi Lacombe pour l'ensemble des marchés litigieux et qu'il conviendra que cette dernière soit dédommagée de son préjudice. »