Ça va être très compliqué. » Alors que les fermentations se terminent, Baptiste Cabal, le jeune président de la coopérative des Celliers des Demoiselles, à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, dans l’Aude, s’inquiète des conséquences de sa très petite récolte : à peine 8 000 hl contre 16 000 à 18 000 hl en année normale. « Cela fait deux ans qu’on n’a pas eu de vraie pluie, indique-t-il. Et les sangliers croquent nos raisins juste avant la récolte. Résultat : certains de nos adhérents attendent désespérément la prime d’arrachage. »
Une centaine d’hectares devrait ainsi disparaître sur les 500 ha que compte la coop. Une hémorragie. « Les parcelles qui vont être arrachées sont, pour beaucoup, improductives. Sous l’effet de la sécheresse, la vigne ne pousse plus et ne fait plus de raisins », précise Baptiste Cabal.
Jusqu’ici, la coop vendait près de la moitié de sa récolte en conditionné. Cette année, ce sera quasiment 100 %, faute de vin pour ses marchés du vrac. Pour limiter l’envolée de ses frais de vinification liée à la baisse des volumes, la coop vinifie depuis cinq ans pour des caves particulières : 3 000 hl cette année, un volume qui pourrait doubler rapidement.
La coopérative Les Terroirs du Vertige, à Talairan, n’est guère mieux lotie. Comme dans toutes les Corbières, sa récolte est indigente. « C’est la plus petite récolte de toute notre histoire, alors que jamais nous n’avons eu autant de vignes. Avec 1 255 ha en production, nous avons rentré 24 000 hl. À peine 19 hl/ha. Du jamais vu ! », se désole le directeur Benjamin Andrieu.
Dans ce secteur fragile, les viticulteurs sont prévoyants : 80 % du vignoble de la cave est assuré. Mais comme la récolte avait déjà plongé l’an dernier, cette protection sera réduite cette année puisque la moyenne olympique a fortement chuté. En revanche, le contrat de carence d’apport que la coop a judicieusement souscrit en 2016 va juguler la hausse de ses frais de vinification. « Quand nous produisons moins de 56 000 hl, ce qui correspond à une année moyenne, nous percevons 25 €/hl », indique Benjamin Andrieu.
La coop, qui ne produit que des vins sur mesure selon les cahiers des charges de ses clients, va manquer de vin. « C’est désolant car on a mis des années à construire ces partenariats. » Seule consolation, la qualité exceptionnelle du millésime qui lui fait espérer une bonne valorisation. Reste l’incertitude quant à l’avenir. « Aurons-nous un hiver pluvieux ? C’est la vraie question. L’eau est une priorité. Nous étudions différents projets de forages ou de retenues collinaires », annonce Benjamin Andrieu.
Autre région, autres aléas climatiques, même résultat. Dans le Jura, ce n’est pas la sécheresse mais le gel et la fraîcheur à la floraison qui ont nui à la récolte. Christian Melet, à la tête d’un vignoble de 5,5 ha à Mantry, peut en témoigner. Cette année, avec 9 hl/ha, il a fait sa plus petite récolte depuis son installation en 2015. « C’est encore plus violent qu’en 2021, l’année du gel qui a frappé tout le vignoble français. Ce qui est inquiétant, c’est la multiplication de ces aléas climatiques. Pour être rentable, il faut récolter 40 hl/ha en moyenne sur dix ans. Depuis 2020, nous avons déjà eu deux années critiques. À ce rythme, je ne vois pas comment atteindre l’objectif sur la période 2020-2030 », s’inquiète-t-il.
Christian Melet va faire le dos rond. « Le millésime 2023 a été abondant. Je vais encaisser le choc. Mais je ne pourrai pas tenir une année de plus sans une récolte correcte. Je ne rationne pas mes clients car, vu la sinistrose ambiante, j’ignore comment mes ventes vont évoluer. Ce qui est vendu est vendu », confie-t-il.
Au domaine des Gravalous, à Pescadoires, dans le Lot, Hervé Fabbro a produit jusqu’à 2 000 hl sur ses 26 ha. Cette année, sur une surface réduite à 20 ha, il n’a récolté que 200 hl. « Le gel est responsable à 85-90 % de cette petite récolte et le mildiou a encore aggravé les pertes », lâche-t-il, découragé.
Déjà l’an dernier, le printemps pluvieux avait conduit à une explosion du mildiou, abaissant son rendement à 8 hl/ha. « Cela devient un défi de produire en bio, déclare-t-il. Cette année, on a pris 100 mm de pluie pendant les vendanges. Il a fallu rentrer précipitamment le peu de raisins qu’il nous restait. Je vais à nouveau proposer des entrées de gamme alors que j’avais renoncé à en produire pour me concentrer sur le moyen et le haut de gamme qui sont plus rentables. »
Pourtant, Hervé Fabbro ne se laisse pas abattre et planche sur de nouveaux projets pour rebondir : « Je vais encore réduire mon vignoble, le ramener à 15 ha pour être en mesure de le travailler seul. J’ai déjà planté 2 ha d’oliviers. J’ai 25 ha de terre sur lesquels je pourrai semer du lin, du chanvre et des céréales pour les transformer en huile ou farine. J’ai également une bâtisse que je peux rénover pour faire des chambres d’hôtes et développer ainsi les ventes en circuit court. »
Hervé Fabbro (crédit photo Domaine des Gravalous)
Non loin de là, à Villesèque, dans la vallée du Lot, David Girard mise, lui aussi, sur la diversification pour amortir les aléas climatiques. Sur les 21 ha qu’il exploite en bio, il a produit 20 à 25 hl/ha contre 35 à 37 hl/ha en année normale. « Depuis 2017, on enchaîne les mauvaises récoltes : le gel cette année, le mildiou l’an dernier… Qui plus est, le marché est à la peine. »
En 2020, David Girard a planté 10 ha de lavande pour la production d’huiles essentielles. Son épouse a créé une savonnerie artisanale. « En mai dernier, on a créé un circuit agri-touristique autour de toutes nos activités. Cette diversification représente déjà 15 à 20 % de notre chiffre d’affaires. C’est encourageant. » De la lavande et des oliviers à Cahors, inimaginable il y a dix ans.
Pour aider quatre de ses jeunes adhérents fragilisés par la succession de petites récoltes, la coopérative des Terroirs du Vertige, à Talairan, leur a proposé de travailler au chai pendant les vinifications. « Nous sommes toujours à la recherche de main-d’œuvre saisonnière. Ces adhérents sont fiables et concernés », soutient Benjamin Andrieu, le directeur, qui les a affectés au déchargement des comportes pour la macération carbonique et au décuvage. « C’est un complément de revenu bienvenu après les deux petites récoltes que nous avons subies. Et ça nous permet de nous impliquer dans notre coopérative, nous ne sommes pas que des apporteurs de raisin », apprécie Matthieu Malric, adhérent de 24 ans, installé depuis deux ans, qui a bénéficié de ce contrat.