Catastrophique » telle est la réponse de Jean-Robert Pitte quand on l’interroge sur la situation en France vis-à-vis du vin, à l'occasion de la remise du prix des champagnes Gosset pour ses actions. Le géographe s’insurge contre les ligues anti-alcooliques et le ministère de la Santé, en rappelant les tristes conséquences de la Prohibition qui sévit aux Etats-Unis au début du XXème siècle. « Je suis aussi en colère contre les cavistes et les restaurateurs qui vendent des vins parfois déviants présentés avec des étiquettes fantaisie qui ne donnent pas l’origine géographique du vin » poursuit l’ancien président de la Sorbonne.
Jean-Robert Pitte, qui a écrit plus d’une vingtaine de livres, dont trois nouveaux cet automne*, précise sa vision : « Nous sommes fiers en France d’avoir une cuisine qui fait partie de notre identité, mais qui doit être reconquise par tous les Français, pas seulement par les grands chefs. Il faut que chacun prenne le chemin de ses casseroles et que les Français recommencent à boire du vin ; le drame c’est qu’ils en boivent de moins en moins, que les jeunes boivent des boissons maronnasse... Qu’on apprenne aux jeunes à boire du vin raisonnablement, ce que je faisais quand j’étais étudiant, et ils ne seront jamais alcooliques, et ils seront joyeux heureux et cultivés, car le vin rend intelligent ».
Jean-Robert Pitte avait dérouté le monde universitaire à la fin des années 1960 en choisissant le Bugey viticole comme sujet de mémoire en géographie. En tant que professeur, il a suivi de nombreuses thèses touchant au vin et la gastronomie. Il a même organisé des dégustations de vin ouvertes à tous les étudiants de la Sorbonne. Enfin comme directeur de cet établissement, il a à son actif avec d’autres universitaires la Fondation européenne pour le Patrimoine Alimentaire et l’inscription du repas gastronomique français au patrimoine immatériel de l’Unesco, qui n’était pas facile : « Quand on a monté le dossier, le ministère de la Culture nous a ri au nez, » se rappelle-t-il « demander cette reconnaissance était une sorte de sonnette d’alarme destinées à nos compatriotes, pour leur dire : vous avez un héritage formidable, faites le vivre, reprenez le chemin de vos marchés… mais cuisinez, ça sera bon pour votre santé, pour votre moral, pour la convivialité au sein de votre famille et de vos amis, pour les terroirs, pour l’agriculture ».
Personne ne croyait à ce projet, sauf un président de la République, qui n’est pourtant pas connu pour son amour de la bonne table : Nicolas Sarkozy y voyait un moyen de rassembler les Français. A la veille de l'annonce du nouveau gouvernement début septembre, Jean-Robert Pitte espérait un ministre de la gastronomie... Il continue de se battre avec ses confrères de l’Académie des Beaux-Arts : « Un jour il faudra élire un cuisiner au moins et un vigneron car le vin fait évidemment partie des beaux-arts »
* : Brillat-Savarin. Le gastronome transcendant, éd. Tallandier, 22,50 €. Noé. La vigne de la vie, éd. du Cerf, 18 €. Souvenirs friands, éd. Calmann-Lévy, 19 €.
Le Trophée Gosset a été créé par la maison d’Aÿ en 1995 pour célébrer les vins de Champagne et les plaisirs de la table. Il a évolué pour récompenser non plus seulement les chefs et sommeliers, mais des personnalité actives dans le domaine de la formation et de la transmission, tels Stéphane Bern, Pierre Pavy créateur des 3 Etoiles Solidaires et cette année Jean-Robert Pitte, membre de l’Académie du vin de Bordeaux.