Ce fut l’une des récoltes les plus difficiles dont je me souvienne au cours de ma longue expérience d’œnologue », notait d’emblée Riccardo Cotarella, président de l’association italienne des œnologues Assoenologi, lors de la présentation de ces premières estimations officielles ce 24 septembre. Entre pluviométrie largement excédentaire au Nord et au Centre et chaleur et sécheresse au Sud, le millésime 2024 aura indéniablement donné du fil à retordre aux vignerons italiens. Globalement, si ces estimations montrent une augmentation de 7 % des volumes par rapport à 2023, rappelons que l’année dernière a vu la plus faible récolte depuis 60 ans (38,3 Mhl).
« Les volumes sont aussi en-deçà de ceux de 2017, la plus faible récolte en 50 ans » souligne le représentant italien de la société de courtage internationale Ciatti. Et d’ajouter : « Il y a une dizaine de jours, nous avons connu des précipitations importantes avec de l’air froid, ce qui a eu un impact sur la fin de la maturation ». Résultat : le marché des moûts concentrés est très actif notamment pour pallier le manque de sucre dans des cépages incontournables comme le glera.


Si les Italiens se félicitent de la résistance des vignes malgré les conditions climatiques extrêmes cette année, celles-ci auront ramené les perspectives initiales de récolte – entre 43 et 45 Mhl – à des niveaux plus modestes. Conjugués à des stocks au plus bas, estimés à 42,2 Mhl fin juillet soit -14 % par rapport à 2023, ces volumes impacteront la campagne. « Cette année, les stocks sont particulièrement bas, notamment pour les blancs », confirme Ciatti. « Et avec une nouvelle récolte faible, nous atteindrons sans doute un niveau historiquement bas l’an prochain. Même avec la baisse de la consommation, il sera très difficile pour les caves italiennes de gérer cette très petite production ».
L’effet sur le marché ne s’est pas fait attendre : « Les entreprises sont en train de se rendre compte qu’il n’y a aucun espoir d’une baisse des prix. La seule possibilité désormais, c’est qu’ils restent stables ou qu’ils augmentent. Les données sont claires et les acheteurs vont se précipiter pour acheter. Les premiers seront chanceux et vont pouvoir acheter des volumes à des prix qui leur conviennent. Ceux qui arriveront plus tard devront payer davantage et achèteront quotidiennement. C’est vrai pour les vins génériques, mais même pour des DOC comme le prosecco ou le pinot grigio la situation est comparable parce que nous n’avons aucun stock de report. Les prix sont assez stables donc je pense que pendant la quinzaine à venir beaucoup de contrats seront conclus ».
Prévoyant globalement une hausse de l’ordre de 5 à 10 % par rapport aux prix actuels, le courtier italien estime que les tarifs devraient se stabiliser autour de leur niveau de l’an dernier. Cela, sachant que le marché italien sera également tributaire de la situation en Espagne, où les prévisions de récolte initiales d’environ 40 Mhl pourraient être ramenées autour de 38 Mhl. « Actuellement les prix en Italie sont proches de ceux des vins espagnols rendus en Italie, et il est plus pratique d’acheter en Italie. Si l’Espagne devait augmenter ses prix, les Italiens feront immédiatement de même parce que les embouteilleurs n’auront pas d’autres options ». Il n’empêche qu’au sein des sociétés d’embouteillage, la concurrence est rude. « Elles se font concurrence, ce qui a pour effet de réduire leur rentabilité au point où elles ne peuvent pas investir », note le courtier italien.
« Tout le monde est dans une situation difficile. Les clients des caves leur demandent d’accorder des remises, alors que les producteurs réclament une revalorisation des prix. Le problème, c’est que depuis cinq ou dix ans tout le monde a investi dans ses installations – notamment dans les chaînes d’embouteillage – pour augmenter le potentiel de production et si le marché continue de baisser et que le changement climatique continue d’impacter la production, une partie de cette infrastructure ne sera plus nécessaire. Certains embouteilleurs vont devoir fermer des installations ».


L’exemple de la Sicile est particulièrement éloquent. La sécheresse et la régression drastique des volumes a déjà fait une victime cette année, la Cantina Europa. Avec ses 6 000 hectares de vignes et 1 500 coopérateurs, la cave coopérative a tenté une alliance avec la coopérative voisine Colomba Bianca, mais au final elle a été contrainte de fermer. « Certaines coopératives vont disparaître », reconnaît le courtier italien. « En Sicile, il n’y a pas assez de raisins. Mais globalement, lorsqu’elles subissent une faible récolte pendant deux années consécutives, et que les frais fixes augmentent, les caves italiennes ont du mal à survivre, notamment celles dans le Centre-Sud. Les producteurs de raisins sont impactés par le fait que dans certaines régions, la viticulture n’est plus rentable. Cela coûte plus cher de produire le raisin que de le vendre. On verra sans doute beaucoup de vignobles abandonnés à l’avenir ».
Une vision critique de l’arrachageMais les Italiens ont une approche beaucoup plus ciblée des arrachages que dans d’autres pays : « Les arrachages font courir le risque de perdre les cépages autochtones et de transférer un pan essentiel de l’économie des régions vers une viticulture industrielle », affirme le courtier italien. Entre le Nord et le Sud de l’Italie, c’est déjà le grand écart : si la Vénétie, par exemple, s’est beaucoup enrichie ces dernières années, ce n’est pas le cas dans les Pouilles, en Sicile, dans les Abruzzes ou les Marches. Face à cette situation, le président de l’Unione Italiana Vini, Lamberto Frescobaldi, appelle de ses vœux une stratégie proactive : « Le groupe européen de haut niveau doit se concentrer davantage sur le soutien à ceux qui veulent rester dans la filière qu’encourager ceux qui veulent partir… Certes le secteur traverse une saison difficile… mais cela ne signifie pas qu’il faille envisager de détourner des fonds stratégiques pour encourager les arrachages ».