ous présentez des investissements conséquents à Châteaubernard (57 millions € pour un four électrique) et portez des projets importants pour l’avenir (en modernisant les deux autres fours) dont l’activité est très spécialisée sur les vins et spiritueux, et très dépendante des eaux-de-vie de Cognac et des vins de Bordeaux. Alors que l’on parle d'incertitudes commerciales sur le premier et de crise viticole sur le deuxième (avec un arrachage en cours et à venir), prévoyez-vous de réduire la voilure ou de vous diversifier ?
Patrice Lucas : La diversification est déjà l’une des forces du groupe Verallia. Quand je regarde le groupe dans son ensemble, on a plus de 10 000 clients, on est présent sur tout un tas de segments. On n'est pas dépendants d'un client, donc d'une performance d'un client ou d'un changement d'habitude du consommateur final. C'est déjà l’une de nos forces. Il est vrai que quand on regarde plus localement, il peut y avoir certaines usines, certains fours, qui sont plus ou moins spécialisés. Mais notre force c'est cette diversité de clients et de segments qui nous affranchit finalement de cycles hauts ou bas.
Aujourd'hui, force est de constater que le marché verrier est un peu bas. Avec des phénomènes de stockage puis déstockage. On reste extrêmement convaincu qu'il n’y a pas de changement structurel. Les fondamentaux sont là. Ce qui est important pour nous, c'est de nous projeter dans l'avenir avec notre feuille de route de décarbonation. On a placé ça au cœur de notre stratégie. On s'est engagé à moins 46 % d'émission de CO2 en 2030 par rapport à 2019 et cette technologie [de four électrique], c'est une des premières briques que l'on veut déployer. À côté, on a une autre brique technologique qui est le four hybride. On a un pilote en Espagne qui démarrera l'année prochaine. À partir de ça, on observera, on regardera le retour d'expérience et on va rentrer dans une phase de déploiement chaque fois qu'un four traditionnel arrivera en fin de vie.
En tant que fournisseur de la filière, n’avez- vous pas d’inquiétude ? On parle actuellement de surproduction dans la filière vin ce qui pourrait devenir une surproduction de bouteilles de vin.
Non, parce qu'à un moment donné, la réalité c'est le marché, c'est la consommation. Je pense qu'on a un beau potentiel devant nous avec le verre et ce processus de décarbonation qu'on met en place. Il va être pour nous l'opportunité d'aller prendre des parts de marché, potentiellement sur d'autres solutions de packaging. En particulier dans tout le segment des boissons non alcoolisées qui aujourd'hui est majoritairement soit en plastique, soit en carton, tétrapack, etcetera.
La décarbonation est donc pour vous un argument commercial pour maintenir vos ventes par rapport à la concurrence ?
Exactement, ce sont des opportunités et des arguments que l'on va avoir.
Dans sa communication, Verallia revendique un statut de partenaire de la filière des vins et spiritueux. On entend pourtant des opérateurs dans le vignoble qui reprochent aux verriers les augmentations de prix imposées pendant les crises covid et inflationnistes, alors que les diminutions de tarifs ne sont pas jugées suffisantes.
Un, on est sur des logiques de prix de marché. On a protégé nos clients, malgré tout à ce qui a pu se dire, d’augmentations bien plus sévères. Parce qu'on avait une politique de couverture sur l'énergie. Aujourd'hui, on accompagne les réductions de prix sur le marché. Mais on reste dans une logique inflationniste. Quand vous regardez le prix du gaz, aujourd'hui il est autour de 40 €. Quand on le regarde avant cette période Covid ou avant cette période inflationniste, le gaz était à moins de 20 €. Aujourd’hui, on a factuellement le gaz qui coûte deux fois ce qu’il coûtait avant covid, même après un pic. Et entre-temps le coût de la main d'œuvres a augmenté. Donc il y a une correction qui s'est opérée fin 2023 et encore un peu en 2024 par rapport à ce pic d'inflation. Mais on a fait tout ce qui était nécessaire pour accompagner nos clients et leur donner la possibilité d’être compétitif.
Malgré tout, on sent encore un ressentiment d’opérateurs de la filière vin déclarant qu’ils ont dû rogner sur leurs marges alors que les verriers, on le voit dans les publications financières, ont maintenu voire amélioré leurs marges. Ce qui fait dire à des vignerons et négociants que les verriers n’ont pas joué collectif…
Non, je ne crois que ce soit le cas. Je ne défendrai pas cette position. Je pense qu'on a fait ce qu'il fallait. En respect de nos clients. En respect de la profitabilité dont on a besoin pour pouvoir réinvestir dans nos usines et accompagner nos clients sur cette décarbonation. C'est vraiment ce qui nous motive, dans un équilibre qui doit être juste. La décarbonation va s'imposer à tous. La décarbonation, à un moment donné, ça a un coût. Ce sont des investissements, ça peut être potentiellement des coûts d'opération qui sont supérieurs. Mais on n'a pas le choix, il faut aller dans cette direction si on veut protéger notre planète et offrir des produits vertueux à nos clients.
Verallia travaille aussi sur le réemploi…
Nous avons tout ce qu’il faut pour le faire. C'est un vrai savoir-faire. La difficulté n'est pas tant du côté verrier. Faire une bouteille pour le réemploi, on sait faire. Le sujet, c'est comment l'écosystème se met en place : le système de consigne, l'acceptabilité du client pour ramener ses bouteilles, etcetera. C'est là où est la difficulté. Produire une bouteille pour le réemploi, on en fait tous les jours, il n’y a aucune difficulté.