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Le vignoble a la"boule au ventre ces vendanges"
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Jérôme Despey
Le vignoble a la"boule au ventre ces vendanges"

Rendement plus bas qu’anticipé, stress économique de la filière vin, arrachage définitif imminent, priorités législatives pour le nouveau gouvernement, bas prix de la foire aux vins Lidl… Le tour des sujets brulants de la rentrée avec le viticulteur languedocien Jérôme Despey.
Par Alexandre Abellan Le 04 septembre 2024
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Le vignoble a la
« Pour le rétablissement à une juste rémunération des prix, on ne peut pas miser sur des récoltes plus faibles à cause des aléas climatiques » prévient Jérôme Despey, dans son vignoble ce début septembre. - crédit photo : DR
E

n tant que viticulteur à Saint-Geniès-des-Mourgues dans l’Hérault, comment se passent vos vendanges ?

Jérôme Despey : J’aimerais qu’elles soient meilleures. On se fait surprendre. Je voyais une récolte moyenne dans l’Hérault, on s’est planté. Force est de constater que depuis le début des vendanges (mi-août sur chardonnay, sauvignon blanc, muscat…), on a vu très tôt qu’il y aurait une récolte qui ne serait pas moyenne mais plus petite que celle imaginée. Il y a un décalage entre les prévisions d’Agreste et la réalité. Lorsque l’on continue la vendange des rosés dans le Languedoc, on s’aperçoit de phénomènes importants de coulure sur le grenache et de millerandage pour le merlot. Je récolte aujourd’hui [mardi 3 septembre] une parcelle de merlot à 6 tonnes/hectare.

On va vers une petite récolte. Et c’est le cas ailleurs. Dans le Languedoc Roussillon, ça va faire partie des petites récoltes quand je vois l’Aude ou le Gard qui ne sont pas très satisfaits… Dans les autres bassins de production, j’entends peu parler de récolte normale. À Bordeaux, il y aurait une récolte plus faible que l’an passé, qui était déjà très basse. J’ai le sentiment qu’en plus d’une situation économique difficile, on va avoir à gérer les conséquences d’une production qui va être faible. Je suis préoccupé par le cumul des petites récoltes (avec une succession d’aléas depuis 2019) et un marché qui a des difficultés (avec la déconsommation, un été peu dynamique où il n’est même pas la peine de parler d’un effet JO avec les problèmes de pouvoir d’achat…).

 

En tant que président de la Chambre d’Agriculture de l’Hérault, comment voyez-vous se dérouler ces vendanges ? Il semble que la forme d’insouciance liée au soulagement de la fin d’une saison compliquée soit masquée par l’appréhension d’une campagne de commercialisation incertaine…

Quand on attaque les vendanges, c’est un moment de satisfaction avec le résultat d’une année de travail assez intense. C’est le résultat que l’on attend tous. On constate sur le terrain, moi le premier à titre personnel, que l’on a une boule dans le ventre ces vendanges. La situation économique est déjà tendue depuis plusieurs années (ce qui nous a amené à demander plusieurs dispositifs), mais ce que l’on attend quand on est vigneron, ce n’est pas de produire un volume pléthorique, c’est de rentrer une récolte en lien au moins avec les rendements de nos cahiers des charges. On a la boule au ventre, le marché est atone, le potentiel de production n’est pas là... J’ai mal au ventre pour les collègues qui enchaînent les petites récoltes depuis deux à trois ans avec la sécheresse dans l’Aude, les Pyrénées-Orientales, le Biterrois… Je suis inquiet pour le végétal en lui-même : les vignes souffrent. Et je ne parle pas de l’impact sanitaire du mildiou avec la succession de pluies et les arbitrages économiques.

 

On entend une petite musique, notamment à Bordeaux et dans les Côtes-du-Rhône, répétant qu’une petite récolte 2024 serait un mal pour un bien, avec un rétablissement d’un équilibre offre/demande favorable à la hausse des cours du vin en vac.

Je ne peux pas me satisfaire qu’une moindre récolte amène à une situation qui pourrait être plus favorable sur le marché. Je vois que l’an dernier, avec une vendange moyenne et des distillations récentes, il y a eu un marché difficile, ce qui m’amène à dire que l’on devrait déjà être sur une situation de marché plus dynamique que celle constatée. Avoir une récolte plus faible peut donner un signal au marché et je le souhaite de tout cœur. Mais ça ne règle pas l’enjeu structurel de la filière. Si le marché se rétablit, il ne compensera pas les pertes de récolte. Ce n’est pas aux aléas climatiques de réguler la situation économique des marchés. Il faut des stratégies plus conquérantes. C’est un travail que l’on doit mener structurellement avec l’arrachage et la segmentation du marché, notamment pour l’approvisionnement de vins sans Indication Géographique (pour avoir la capacité de les produire plutôt que de les importer pour les vins d’apéritif, les effervescents…).

Le changement climatique bouscule tout le monde. J’entends parler de délocalisation de vignobles dans le Nord, mais toutes les régions sont concernées par les aléas climatiques. Nous demandons un grand plan d’investissement d’ici la fin de l’année pour protéger nos cultures. Si l’on ne met pas en place des moyens d’investissement pour avancer à la fois sur les sujets du gel, de la grêle, de l’eau, qui ne doit plus être tabou (dans l’Hérault il y a trois retenues hivernales en projet pour sécuriser des vignes dans des zones sans eau comme le Faugérois) ombrières (protection et complément de revenu), des ombrières (qui fait débat, mais qui peut être une protection intéressante avant d’être un complément de revenu)… Il faut un programme d’investissement qui permette de sécuriser le potentiel de production. La vigne qui souffre et qui crève, c’est notre quotidien.

Avec un grand plan d’investissement, on pourra y adosser un système assurantiel adapté. Il existe aujourd’hui un socle qu’il faut rendre efficient pour la viticulture. Il est dramatique qu’il y ait un désengagement de l’assurance. D’ici la fin de l’année, il faut avancer sur la moyenne olympique afin d’arrêter de répéter qu’elle n’est plus adaptée à la vigne. Et j’entends d’autres secteurs de production qui demandent une évolution de la référence historique (les grandes cultures s’en saisissent, c’est nouveau).

 

En tant que président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer, pensez-vous que la mise en place des arrachages temporaires et définitifs sera opérationnelle pour ce 15 octobre alors que la commission européenne se renouvelle et que le ministre de l’Agriculture français est démissionnaire ?

Je peux dire que tout est fait du côté du ministre de l’Agriculture démissionnaire et du côté de la profession pour que d’ici fin septembre il y ait un premier dispositif d’arrachage dit définitif qui soit mis en place dans le cadre du budget d’État de 150 millions €. Il faut que la France pose une notification dans le dispositif Ukraine qui permette de pouvoir mettre en place cet arrachage définitif par l’utilisation des crédits nationaux. Nous sommes dans le temps de l’urgence, c’est ce que j’ai rappelé avec force avec Ludovic Roux [NDLA : président de la fédération des caves coopératives d’Occitanie et représentant de la France au Copa Cogeca] auprès de la Commission Européenne ce jeudi 30 août, un an après notre premier rendez-vous. Aujourd’hui, le temps n’est pas à se poser la question d’attendre les conclusions du Groupe à Haut Niveau, mais d’enclencher un dispositif d’arrachage. D’abord définitif à 4 000 €/ha sur la base des 150 millions € de fonds nationaux annoncés. À élément exceptionnel, solution exceptionnelle. Tout est fait pour que ce premier dispositif puisse sortir rapidement, les fonds Ukraine devant être engagés avant le 31 décembre 2024.

Il faudra aboutir le plus rapidement possible sur l’arrachage temporaire, l’outil risque d’être en deux temps. J’en suis meurtri, je souhaitais que les deux outils sortent en même temps. L’arrachage temporaire donne un signal aux jeunes qui s’installent et à ceux qui investissent avec un arrachage à 2500 €/ha qui bloque pendant 4 ans les terres pour pouvoir aller sur une stratégie de replantation en lien avec les marchés.

 

Alors que la filière parle de 100 000 ha excédentaires et que le sondage FranceAgriMer chiffre la volonté d’arrachage à 22 500 ha, avec des fonds nationaux de 150 millions €, il y aurait donc 37 500 ha de vignes à arracher définitivement ?

C’est la surface qui pourrait être arrachée. On a vu que le sondage a mené à beaucoup d’interrogations sur la mobilisation des viticulteurs. À dire d’experts on serait plus proche des 60 000 ha candidats à l’arrachage que 22 500 ha. Plus le temps passe, plus je me dis que c’est dans le vrai vu les vignerons qui n’en peuvent plus que j’entends. On ne peut pas aujourd’hui dire s’il y aura assez d’argent ou s’il en manquera pour l’arrachage définitif.

 

Quelles sont les modalités et les contraintes prévues pour l’accès à l’arrachage définitif, notamment entre propriétaire/fermier, année de dernière récolte… ?

Il faut d’abord avoir le feu vert pour enclencher en urgence l’arrachage définitif et avoir une discussion avec la filière sur les modalités. On sait qu’il faut que l’on donne des éclaircissements. Ce sera un débat à avoir pour fixer les règles. Il y a beaucoup de travail technique à FranceAgriMer comme le dispositif d’arrachage va arriver très vite. Mon but c’est d’avoir très vite l’autorisation d’enclencher l’arrachage définitif pour discuter dans la filière des modalités opératoires. Il faut que ce soit fait avant le 15 octobre pour que la notification des paiements soit réalisée avant le 31 décembre.

 

Pour l’arrachage temporaire, il y aurait donc un deuxième temps, lié au Groupe à Haut Niveau lancé ce 11 septembre par la Commission Européenne à Bruxelles ?

L’arrachage temporaire génère plus de consensus à l’échelle européenne. La Commission ne ferme pas la porte et nous dit que ça pourrait avancer avec le groupe à haut niveau. Pour que ça avance, les deux arrachages sont décorrélés. Je le regrette, mais il ne faut pas perdre de temps et donner un signal que la viticulture attend depuis des mois (manifestation de Narbonne, salon Sitevi, annonces de février…). Ce pas de temps n’est pas celui de la crise. L’urgence de l’arrachage définitif n’est pas celui de la discussion européenne.

 

En tant que premier vice-président de la FNSEA, quelles sont les priorités viticoles du projet de loi proposé par votre syndicat face à la perte des travaux parlementaires enclenchés après la dissolution ?

Le but est d’avoir au travers de ce projet de loi un outil clé en main pour le nouveau gouvernement et les parlementaires. Force est de constater que depuis le mouvement agricole de l’hiver dernier, tout ce qui est d’ordre législatif est bloqué. Ce temps n’est pas celui de l’urgence. En particulier des viticulteur en détresse pendant les vendanges. D’abord, il faut faire acter que l’agriculture, et donc la viticulture, est d’intérêt majeur. C’est important pour les conditions de production de notre métier.

Économiquement, on demande la prise en charge des cotisations sociales en triplant l’enveloppe nationale dédiée. Nous demandons un nouveau Prêt Garanti par l’État (PGE) à taux zéro pour aider les trésoreries. Les promesses du début d’année avec la BPI n’ont pas été réalisées, nous espérons avoir rapidement un nouveau gouvernement pour avancer sur des sujets qui ne peuvent pas être traités comme des affaires courantes. Il est également indispensable que la filière viticole retrouve des prix décents au niveau de la production, alors que l’on voit des prix indécents en Foires Aux Vins. Dans la loi, la filière viticole souhaite se réapproprier un sujet des Etats Généraux de l’Alimentation (Egalim) délaissé à tort : intégrer dans les prix le coût de production. Les charges ont augmenté, les efforts de transition et de certifications environnementales ne sont pas payés… Ça ne peut pas marcher. Ça ne peut plus marcher. On peut être résilients, on arrive au bout. Les travaux sont à mener dans les interprofessions, pour continuer à avancer sur la régulation et la mise en place d’indicateurs de prix décents pour les producteurs. Il y a des opportunités sur de nouveaux produits, plus frais, désalcoolisés, en adéquation avec la demande…  Il y a des parts de marché que nous pourrions prendre si nous étions plus compétitifs, mais il faut aussi que ce soit rémunérateur. Je sens monter une colère légitime.

Je n’oublie pas la fiscalité et le social, avec l’aide à la main d’œuvre saisonnière (TODE), l’aide au répit (pour les pré-retraites), ainsi que tout le volet de simplification administrative, le sujet de la réhomologation des matières actives autorisées au niveau européen (pour éviter les impasses comme on a pu le voir avec résistances sur mildiou et oïdium.)

 

En tant que président du CENECA organisant le salon de l’Agriculture, pensez-vous que Lidl y a sa place comme exposant affichant son soutien aux agriculteurs alors que sa foire aux vins affiche de nombreux prix incompatibles avec une juste rémunération ?

Tout le monde a sa place dès lors que chacun respecte ses droits et devoirs, qu’il concoure à aider les filières de production, à rémunérer les producteurs, à être dans le gagnant-gagnant (chacun doit toucher une juste rémunération). Dans le monde agricole, Lidl a su nouer des partenariats. Je demande à ce qu’ils les accentuent et les poursuivent. Il n’y a pas de raison qu’ils ne le fassent pas pour la viticulture. C’est capital. Il faut éviter les prix de prédation en foire aux vins. Ce n’est pas tenable. J’en appelle à la grande distribution de se mettre de nouveau autour de la table pour la responsabilisation de tous les acteurs.

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augustin Le 09 septembre 2024 à 04:42:17
faucon et yaka sont dans un bateau , faucon tombe à l eau et qui reste t il : yaka bien sur ! M Despey est l archétype de ces élus de l interprofession viticole d ailleurs aux multiple casquettes qui a promis beaucoup sans parvenir à délivrer grand chose.On ne peut qu etre frappes par la modicite des crédits cibles au niveau national et le retard pris par leur octroi avec ou sans Bruxelles , sans oublier le yoyo incessant quant à la superficie agricole utile réellement concernée par ces plans d arrachage successifs. Lesquels après avoir été présentés comme la panacée, ne semblent pas avoir l effet mécanique attendu sur une remontée spectaculaire des cours. Le constat est de plus en plus amer, les promesses des politiques n ayant pas été tenues et les délais de mise en place toujours repoussés au lendemain . Donc oui , désormais la peur au ventre , car le peloton d exécution n est hélas plus très loin pour pas mal d opérateurs . Comme dans beaucoup de discipline ,M Despey semble oublier que le temps perdu hélas ne se rattrape pas. Et le nouveau gouvernement de M Barnier aura beau faire , sauf à obtenir du secteur bancaire un support massif comme prévu depuis début d année 2024 , la casse généralisée est en vue. Il faut désormais aller très vite car une fois la vendange 2024 rentrée, c est l impasse ... A titre d exemple le collectif viti 33 rencontre ses nouveaux députés bordelais à mi septembre, pour les alerter mais il faut beaucoup et tout de suite , ce qui va être esormais compliqué voire impossible à obtenir...
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