a colère est d’autant plus vive qu’il y a du gel sur les plaies… « On ne sait plus comment mobiliser des mécanismes permettant de maintenir le vignoble. Nous n’avons plus confiance dans l’État. Il faut savoir si l’on nous laisse produire ou pas ! » lance Sébastien Sigaud, le président de l’Union Interprofessionnelle du Vin de Cahors (UIVC), ce jeudi 2 mai à l’occasion d’une visite de représentants de la région Occitanie dans le vignoble gelé du Lot. Descendant jusqu’à -4°C sur des vignes en avance (stade boutons floraux agglomérés), les 6 nuits de gelées du 19 au 24 avril derniers sur 90 % du vignoble d’appellation Cahors (soit 4 000 des 4 300 hectares de l’AOC) allongent une série glaçante : 5 nuits gélives en 2017 (jusqu’à -5°C), deux en 2019 (-7°C), cinq en 2022 (-6°C), 3 en 2023 (-5°C)…
Ce dernier millésime ayant surtout été marqué par les dégâts de mildiou et d’échaudage, conduisant l’AOC au rendement le plus bas de son histoire : 15 hl/ha. En l’état, le vignoble cadurcien peut espérer rentrer au mieux 23 hl/ha sur le millésime 2024 estime Vincent La Mache, le directeur technique du syndicat de défense du vin AOC Cahors, qui résume : « on gèle tous les ans depuis 2017 (sauf en 2018) », avec des dégâts variant selon la précocité de la vigne… Mais usant des opérateurs déjà très éprouvés.
Avec une mauvaise séquence de 5 petites récoltes sur 8 années, les vignerons du Lot sont à bout de nerf. D’autant plus que ce gel 2024 est une (mauvaise surprise) : « vu le temps, on pensait qu’il n’y aurait plus de gel… » glisse Nicolas Fournié, le président du syndicat de défense du vin AOC Cahors. « On se préparait à refaire le plein : ça devait être cette année. On était chaud ! » complète Sébastien Bernède, le vice-président du syndicat AOC Cahors accueillant sur le clos la Coutale la visite des vignes gelées : sur 100 ha, il en dénombre 15 % indemnes, 50 % avec 50 à 80 % de dégâts et 35 % à 100 % de perte de récolte. « On voulait partir à l’offensive (avec un plan de communication numérique), mais dans un an, il n’y aura plus de vin dans les caves. Il va falloir être défensifs pour garder les quelques marchés qui nous font vivre » souligne le vigneron bio installé depuis 2021 à Vire-sur-Lot.


Si Sébastien Sigaud veut aussi positiver avec des stocks (233 000 hl d’AOC au 31 mars 2024 quand 100-120 000 hl sont vendus en un an), l’arrivée d’investisseurs (notamment Gérard Bertrand et Lionel Osmin) et le maintien de la valorisation (162 €/hl le vin en vrac, en faisant « l’une des AOC les plus chères du Sud-Ouest »), le président de l’UIVC appelle à une mobilisation des pouvoirs publics avant qu’il ne soit trop tard. Suivie par la préfecture du Lot*, la filière de Cahors ne se retrouve pas dans les mesures d’aide aux vignobles en difficulté mis en place jusque-là : « nous sommes différents des autres. Nous ne rentrons pas dans les cases. Le malbec de Cahors est dans un cas à part [par rapport aux autres vignobles rouges]. Nous manquons de vin. Nous n’avons distillé que 5 % de notre production (7 à 8 000 hl) on n’a pas demandé beaucoup à l’Etat qui ne nous rend jamais rien » aligne Sébastien Sigaud.
Reçue ce 7 février au ministère de l’Agriculture, par le cabinet de Marc Fesneau, la filière lotoise ne manque pas de demandes. Sa liste à la Prévert proposant un report des annuités à trois ans (avec prise en charge des intérêts bancaires par l’État), suspension pendant 3 ans pour les chefs d’exploitation des cotisations de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), une annulation pendant trois ans de la Taxe Foncière sur le Non Bâti (TFNB), une évolution de l’assurance climatique (en prenant comme rendement assurable la moyenne quinquennale du potentiel de production estimé par l’expert d’assurance lors d’un aléa climatique), la protection des exploitations viticoles contre la mise en sauvegarde (dans le cadre de procédures collectives), un accès à l’eau (pour l’aspersion et l’irrigation), de la souplesse pour les phytos (le cahier des charges HVE ayant montré ses limites en 2023), un prix de référence (un mécanisme actuellement débattu dans l’application viticole d’Egalim), un médiateur social et économique (pour les 280 exploitants cadurciens et les 2 800 emplois en domaines viticoles), un allégement des contrôles internes de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG), une réduction de moitié des assurances sur les véhicules et bâtiments agricoles pendant trois ans… Sans oublier un nouveau fond d’urgence, le sous-dimensionnement de celui déployé étant resté en travers de la gorge de Cahors (l’enveloppe étant dimensionnée sur 80 viticulteurs quand il y a eu 200 candidatures)..
Trois mois après, « nous n’avons pas de réponse à date » peste Sébastien Sigaud, qui dépeint une situation explosive, avec 150 à 180 vignerons en difficulté. « C’est une crise sociale » pointe Nicolas Fournié. « 60 % de nos vignerons sont en état de dépôt de bilan : ils ne paient plus la MSA, l’ODG, les fournisseurs de phytos… » esquisse Sébastien Sigaud, pour qui « notre devoir c’est d’éviter d’amener 60 % des viticulteurs cadurciens devant les juges. On en est là aujourd’hui ! » Et les 600 ha en friche candidats à l’arrachage, faute de fermiers s’y retrouvant financièrement, monteraient désormais à 1 000 ha en friche.
Face à ces demandes multiples, Jean-Louis Cazaubon, le vice-président à la région Occitanie en charge de la Souveraineté alimentaire rappelant que la compensation des calamités agricoles est du ressort de l’Etat, région n’ayant de capacité d’intervention que sur les investissements. Mais le prêt régional Foster permettrait aux vignerons touchés par le gel d’obtenir auprès de leurs voir banques un prêt garanti par la région. Un outil qui pourrait être ouvert pendant 9 mois s’il est validé par la région. « Notre difficulté est que l’on demande à tous un plan collectif de sauvegarde et que tout est reporté au niveau individuel » regrette Sébastien Sigaud, qui plaide également pour des dispositifs durant trois ans pour répondre à la crise qui frappe aujourd’hui (le surcoût du peu productif millésime 2023) et qui s’annonce demain (le manque de vin 2024). « Un problème n’est pas résolu qu’un autre arrive » soupire Sébastien Sigaud.


Cerise sur le gâteau, l’interprofession et les syndicats vitivinicoles pourraient être mises en défaut par ce reflux des volumes produits, et donc de leurs cotisations. « Il y a un risque pour la pérennité des institutions » prévient Nicolas Fournié. « Il faut des aides pour maintenir les institutions, pour produire du raisin et conquérir des marchés. Il faut une réponse maintenant, pas dans 6 mois, pour savoir où l’on va. Sinon, on est morts » renchérit David Girard, le président des vins IGP du Lot (Côtes du Lot et Comté Tolosan).
Si aucune aide bancaire n’est donnée aux vignerons, beaucoup ne passeront pas le début 2025 prévient Sébastien Bernède, pour qui l’aide à la trésorerie ne permettra que de relever les domaines pour les préparer à l’avenir : « il faut regarder la vérité en face : on doit se parer contre les aléas climatiques. Il faut protéger la production, tout le reste, c’est de la poésie. » Pour lutter contre le gel et la sécheresse, le vigneron du clos la Coutale appelle à utiliser « l’avantage concurrentiel des Midi Pyrénées : on ne manque pas d’eau ». Grâce au débit du Lot, l’aspersion pour lutter contre les gels radiatifs et advectifs est même « la solution qui crève les yeux pour 2 000 ha en plaine » pour Vincent La Mache, qui souligne que les éoliennes et d’autres dispositifs pourraient protéger le plateau.
Demandant des aides au raccordement du réseau hydraulique et à l’investissement pour chaque parcelle, un déploiement de l’aspersion nécessitera un soutien massif de l’Etat, de la région et du département préviennent les viticulteurs. Le prix de la pérennité : « personne n’a intérêt à ce que l’on disparaisse » conclut Sébastien Sigaud.
* : Ayant réuni les maires et instances viticoles ce vendredi 26 avril après le gel, la préfecture du Lot indique dans un communiqué ce 30 avril que « dans le cadre de la reconnaissance du département pour bénéficier de l’indemnité de solidarité nationale (ISN), la DDT, en partenariat avec la Chambre d’agriculture, a débuté aujourd’hui une série de "tours de plaine" chez un échantillon d’exploitants touchés afin de monter le dossier de reconnaissance départemental ».