uelle est votre vision de la filière vin en France : un patrimoine culturel à conserver autant que possible en ces temps de crise ou un atout cultural à adapter et développer par le plus de moyens possibles sur un maximum de marchés ?
Jordan Bardella : Ces deux visions ne s’opposent pas. Le savoir-faire viticole est un patrimoine enraciné en France qui a façonné nos paysages et forgé aussi la puissance de notre pays. Le vin est un des produits emblématiques de la gastronomie française et le champion de nos exportations. Pour toutes ces raisons, les élus du Rassemblement National ont, en France comme au parlement européen, constamment soutenu cette excellence française notamment en s’engageant pour la reconnaissance des indications géographiques protégées.
Partagez-vous le sentiment d’une partie du vignoble de ne pas être représenté assez fortement par les eurodéputés français à Bruxelles, notamment pour défendre leurs activités et intérêts sur les débats environnementaux, sanitaires, climatiques… ?
Durant la révolte paysanne, les agriculteurs ont fait entendre à raison leur colère contre le mur de normes, l’asphyxie réglementaire et la concurrence internationale déloyale imposés par le gouvernement et l’Union européenne. L’Europe de Macron, c’est la multiplication des accords de libre-échange -notamment avec le MERCOSUR alors que l’Argentine exporte déjà plus de 400 millions de litres de vin-, et l’ivresse normative contre nos producteurs. Les viticulteurs et vignerons français peuvent compter sur les élus du Rassemblement National pour stopper l’écologie punitive et la décroissance portées par la Commission européenne ou encore l’interdiction de produits phytosanitaires sans alternative économiquement viable.
De plus en plus de débats européens portent sur la question de la dangerosité du premier verre de vin (textes BECA, MNT) : quelle est votre position ? Êtes-vous favorable à une taxation comportementale/un prix minimum de vente au niveau européen ?
Je m’oppose à la criminalisation des activités de nos producteurs menée par toute une partie de l’échiquier politique : l’agriculteur n’est pas un pollueur. Le viticulteur n’est pas un empoisonneur.
Dans le domaine de la santé publique, c’est aux États membres, et non à la Commission européenne, qu’il revient de légiférer. La responsabilité des politiques de prévention, pour qu’elles puissent être adaptées à chaque pays, doit rester nationale. La France dispose d’ores-et-déjà d’un cadre suffisamment contraignant mis en place par la loi Evin, et qui n’est sans impact sur le recul de la consommation de vin dans notre pays : -70 % ces soixante dernières années. La question, aujourd’hui, n’est pas tant celle du premier verre de vin que celle de la lutte contre l’alcoolisme et la prévention des Alcoolisations Ponctuelles Importantes (API).
Vous opposerez-vous ou soutiendrez-vous des mentions sanitaires communautaires ressemblant à celles du tabac pour l’étiquetage des boissons alcoolisées en général et du vin en particulier (comme l’Irlande impose dès 2016 des phrases reliant cancer et alcool) ?
La France impose déjà des indications sur les bouteilles ainsi que sur les publicités sur les dangers de la surconsommation d’alcool ou sur la consommation d’alcool pour les femmes enceintes. Une politique d’affichage supplémentaire, suivant le modèle du tabac, affecterait directement et trop fortement l’image de la filière vitivinicole française et les 250 000 emplois directs qui en dépendent.
Dans la prochaine Politique Agricole Commune (PAC) se pose la question de maintenir ou non des outils de régulation propres aux vignobles : autorisations de plantation (courant jusqu’en 2045 mais avec un rapport d’étape en 2028), outil d’Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM vin)… Quelle est votre position en la matière ?
Le Rassemblement National s’est toujours opposé aux dérégulations imposées par l’Union européenne, comme la suppression des quotas ou des autorisations de plantation. Toutes ces mesures ont entrainé des déstabilisations de marchés préjudiciables pour les filières concernées. Je prône donc le maintien des autorisations de plantation et de l’OCM vitivinicole.
La question de la concurrence déloyale au sein du marché unique doit être également posée : la France importe six millions d’hectolitres de vin par an qui déstabilisent la filière française. Il faut procéder à une harmonisation des normes environnementales et à une amélioration de l’étiquetage.
Sujet de crispation à Bruxelles avec la politique du Green Deal, la performance environnementale des domaines est-elle compatible avec leur compétitivité/pérennité économique ?
Le Pacte Vert et l’ensemble des textes qu’il comporte sont au cœur des préoccupations et des inquiétudes des agriculteurs. Derrière la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre européennes -un objectif évidemment souhaitable-, se cache une logique d’écologie punitive et de décroissance agricole. Réduction de l’usage de produits phytosanitaires sans alternative viable, réduction des productions agricoles, restauration de terres agricoles à la nature… Seuls les élus du Rassemblement National ont refusé de voter le Pacte vert.
Je porte, dans cette élection, l’idée de puissance. La performance environnementale n’est pas incompatible avec la compétitivité et la pérennité des activités. Cela nécessite du temps, de l’ambition et les moyens de cette ambition.
Je m’inquiète également des surtranspositions à l’œuvre et du projet du gouvernement de maintenir l’objectif de réduction de moitié des produits phytosanitaires d’ici 2030, alors que le règlement SUR, comprenant le même objectif au niveau européen, a été retiré. Il s’agit-là d’une nouvelle surtransposition contraire aux engagements du gouvernement.
Pour tenir le coup face au changement climatique, souhaitez-vous une réforme de la moyenne olympique qui encadre l’assurance climatique des récoltes ?
L’assurance climatique, malgré sa réforme, a démontré qu’elle n’était pas efficace pour faire face aux aléas climatiques. La moyenne olympique en est l’une des causes, je suis donc favorable à cette évolution.
Comment ne plus laisser les vins et spiritueux français devenir des otages de choix dans les conflits commerciaux internationaux (des taxes Trump à l’enquête chinoise antidumping) ?
La notoriété des vins et des spiritueux français les rendent victimes de leur succès. Il faut, d’une part, mieux soutenir les producteurs victimes des sanctions et, d’autre part, renforcer nos propres outils de défense commerciaux qui mettent souvent plusieurs mois, voire des années, avant de permettre un soutien économique aux filières sanctionnées en raison de la durée des enquêtes de la Commission.