n mars 2023, une stratégie interfédérale entre les gouvernements belges au niveau fédéral et régional et les différentes parties prenantes a été approuvée. Comportant 75 mesures visant à combattre la consommation abusive et nocive, elle pose explicitement comme principe la lutte contre l’abus d’alcool et non pas la consommation modérée. Or, le 19 janvier dernier, un arrêté royal instaurant des mesures de restriction sur la publicité en faveur des boissons alcoolisées, la protection des mineurs et « un message d’information sanitaire dont le contenu et la forme sont définis par le ministre », a été transmis à la Commission Européenne dans le cadre de la procédure dite TRIS (pour la prévention d’obstacles techniques au commerce). Cela, sans la moindre concertation avec le secteur et autres parties prenantes concernées.


Au mois de mars 2024, c’est le Conseil supérieur de la santé belge qui intervient avec la publication d’un rapport intitulé « Mesures de réduction des méfaits liés à la consommation d’alcool : avertissements sanitaires dans le marketing, recul de l’âge de la première consommation d’alcool et prix minimum de l’alcool ». Un titre on ne peut plus explicite qui en dit long sur les intentions du ministre de la Santé publique, Frank Vandenbroucke. Car, comme le précise Geert van Lerberghe, directeur de l’organisation professionnelle Vinum et Spiritus, ce rapport a été rédigé à la demande du ministre, qui souhaite que soit mis en place pour les boissons alcoolisées un système semblable à celui qui existe pour le tabac, selon le principe que « chaque goutte d’alcool nuit à la santé ».
15 avertissements sanitaires en rotation
Ce rapport préconise l’instauration de 15 avertissements sanitaires affirmant que l’alcool – et non pas l’abus d’alcool – provoque de nombreuses pathologies et altérations du comportement. De plus, ces messages devraient s’appliquer en rotation : pour les médias, ils devraient tourner tous les six mois, période qui passe à un an pour les supports de type bâche publicitaire. Cela, sachant que la définition de publicité serait élargie : « Aujourd’hui, il ne suffit pas qu’il y ait le nom d’une marque ou un logo pour que cela soit considéré comme de la publicité », explique Geert van Lerberghe. « Le ministre veut modifier cette définition pour qu’ils soient considérés comme publicitaires ». Outre ces messages sanitaires, le CSS recommande qu’une obligation soit également mise en place concernant les autres informations à indiquer sur les étiquettes : nombre d’unités de consommation, valeurs nutritionnelles et énergétiques et âge minimum de consommation. Le tout à des emplacements et avec des tailles prédéterminés. En ce qui concerne le prix minimum de l'alcool, le CSS réitère les recommandations de 2018 : prix minimum par unité d'alcool vendu au détail, interdiction d’offrir des boissons alcoolisées ou de les vendre à des prix fortement réduits et augmentation des taxes et droits d’accise.
Trois mois de sursis
Pour l’heure, l’arrêté royal soumis à la procédure TRIS fait l’objet d’un sursis : en dehors des observations de l’Espagne, la Bulgarie, la Croatie, le Portugal et même de la Commission Européenne – mais pas de la France – des avis circonstanciés transmis par l’Italie, la Roumanie et la République Tchèque ont eu pour effet de prolonger la durée de consultation jusqu’au 22 juillet 2024. « Nous devons maintenant répondre aux avis circonstanciés avant le 22 juillet et attendre la fin de la période de statu quo pour publier l’arrêté », a précisé Santé Publique Belgique à Vitisphere. Un arrêté ministériel, prévu pour « exécuter plus en détail l’arrêté royal » et s’inspirant largement du rapport du CSS, n’a pas encore été publié. Il serait actuellement en discussion au sein du gouvernement et pourrait figurer à l’ordre du jour du Conseil des Ministres prévu le 3 mai prochain.
Initiatives professionnelles
Ce 24 avril, plus de 20 associations professionnelles concernées ont publié un communiqué dans lequel elles appellent les autorités à respecter le principe d’auto-régulation de la publicité en Belgique : « Le secteur n’est pas contre le fait de devoir mieux informer le consommateur, bien au contraire, mais à travers des informations qui soient de nature à mieux l’informer, et non pas avec des affirmations simplistes qui font peur et ne sont pas correctes au niveau scientifique », martèle Geert van Lerberghe, qui rappelle que selon un rapport publié par une agence publique de statistiques, 90-94% des Belges consomment de façon modérée. Les professionnels ont d’ailleurs lancé en février dernier un nouveau message éducatif, « L’abus d’alcool nuit à la santé », en remplacement des messages précédents moins directs (« Notre savoir-faire se déguste avec sagesse »…), afin de « faire comprendre qu’une consommation modérée et responsable doit être respectée à tout moment, et pas uniquement pendant la Tournée Minérale en février ».
La marque de fabrique de l’OMS
Enfin, pour le directeur de Vinum et Spiritus, la volte-face opérée par certains membres du gouvernement belge vis-à-vis de l’alcool ne s’inspire pas tant des initiatives irlandaises prises en 2023, que de l’influence de l’OMS. « Depuis 2018, où la consommation modérée était tout à fait considérée comme acceptable, l’OMS a changé de cap et son slogan est devenu « No safe limit », donc il n’y a pas de seuil en-dessous duquel il est acceptable de consommer de l’alcool ». Reste à savoir si le ministre belge de la Santé trouvera les soutiens qu’il lui faudra au sein de son gouvernement pour faire passer des mesures « qui dépassent largement le cadre de ce qui avait été prévu dans le plan alcool ».