Nous cherchons surtout à vendre nos vins aux Romains et à leur faire comprendre qu’ils sont super. Heureusement, la nouvelle génération change. Elle veut boire local et manger des produits en circuit court. Elle aime la découverte et elle sait se faire plaisir », lance Giulia Fusco du domaine Merumalia.
Avec sa sœur, ces jeunes trentenaires gèrent 10 ha au cœur de l’appellation Frascati à quelques kilomètres au sud-est de Rome. Leur domaine est posé au sein d’une colline verdoyante de vignes et d’oliviers. Dans leur caveau chic et décontracté, elles proposent 13 cuvées à leur image : bio avec des bouteilles faciles à boire entre copains et d’autres plus complexes qu’elles vendent entre 10 et 26 € en moyenne.
Pour se faire connaître, elles s’en donnent les moyens. Elles ont monté le club Merumalia qui offre à ses membres des réductions sur leurs vins ou des dégustations privilégiées. Elles ont créé le Merumalia Wine Resort, trois chambres d’hôtes aménagées dans leur jolie villa familiale, avec vue sur les vignes et sur Rome. Elles organisent des cours de cuisine avec des producteurs locaux et des jeunes chefs qui cuisinent végan ou des séjours de yoga dans les vignes. Malgré cela, « il reste du boulot pour faire connaître notre travail et nos vins », constate la vigneronne.
Éclipsés par les célèbres appellations italiennes, les vins du Lazio sont peu connus hors de leur frontière et n’ont pas toujours une très bonne image auprès des Romains. Pourtant, ici, la vigne est un héritage séculaire. Aujourd’hui, 374 vignerons cultivent 18 000 ha de vignes plantées à 71 % sur les collines autour de Rome, à 20 % dans les plaines et pour les 9 % restants dans les montagnes. Ils produisent 800 000 hl/an en moyenne, 73 % en blanc et 27 % en rouge.
« Il y a cinquante ans, la vigne était présente partout », raconte Lorenzo Costantini, du haut de son domaine Villa Simone qui offre une vue plongeante sur la capitale italienne. Avec sa jeune fille Sara, chargée de la communication, il gère 22 ha achetés à l’origine par son arrière-grand-père.
Ce passionné aime parler de ses vignes plantées à 5 000 plants par hectare, de ses sols volcaniques, riches en minéraux crachés par le volcan Albain dont il spécule sur une hypothétique reprise de l’activité, des 200 000 quilles qu’il embouteille chaque année avec sa propre tireuse « parce que c’est plus facile à gérer ». Et de ses vins, 80 % de blancs et 20 % de rouges. Leur prix ? Il ne le sait pas spontanément. Sa fille précise : « Entre 7,5 et 24 €. »
Ici, la décoration est rustique mais les jus sont inscrits dans leur temps. « Je ne fais pas les mêmes vins que mon père – ils sont moins boisés – parce que tout le monde a changé : le consommateur et le vigneron », plaisante Lorenzo Costantini. Son marché, c’est l’Italie. Pour l’instant, il exporte seulement « 10 % en France, en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Autriche ». L’avenir ? Il croit profondément au potentiel des vins du Latium, à la richesse de son terroir volcanique et à ses nombreux cépages autochtones.
Parmi les 94 cépages cultivés dans le Latium, 37 sont des indigènes. En blanc, les plus cultivés sont la malvoisie du Lazio et le bellone. En rouge, c’est le cesanese d’Affile et le cesanese commun. Comme le mentionne une étude de l’Agence régionale pour le développement de l’agriculture (Arsial) : « Le nombre d’entreprises qui se concentrent sur les vignes indigènes augmente considérablement. La majorité est représentée par de jeunes entrepreneurs agricoles, dont beaucoup sont des femmes ».
On trouve aussi des coopératives engagées. La cave de Cincinnato, située à 50 km au sud de Rome, travaille depuis sa création en 1948 à la protection des cépages indigènes. En ce moment, elle encourage ses 104 viticulteurs à replanter surtout du nero buono en rouge et du bellone en blanc, deux variétés qui ont toujours été cultivées dans la région.
À Casale Vallechiesa, au bord de la bruyante autoroute qui mène à Rome, Bruno Gasperini, la quarantaine, gère un domaine de 14 ha d’apparence traditionnel. Son credo ? Combiner la tradition viticole avec la blockchain pour améliorer l’expérience client. Bruno aime dire : « Nous sommes passés de la charrette à vin à la blockchain en cave ! » « C’est compliqué à comprendre », souffle sa mère qui travaille avec lui sur le domaine. Son fils explique : « Concrètement, à partir d’un QR code sur la bouteille, les consommateurs peuvent trouver toutes les informations sur le vin. De plus, chaque bouteille possède son certificat d’identification. Les consommateurs et les distributeurs peuvent ainsi vérifier la traçabilité de la bouteille. » Entre autres. Pour lui, c’est le futur car en livrant des informations aux consommateurs, « on peut leur faire comprendre la valeur du prix d’une bouteille ou leur expliquer notre travail sur les cépages indigènes et notre engagement pour l’environnement ». Un pari à prendre.
Elles sont 65 femmes du vin du Latium, dont 24 viticultrices, regroupées au sein de l’association Femmes de vin du Latium, et 1 080 dans toute l’Italie, membres de l’association nationale du même nom (Le done del vino, en italien). Sara Costantini, de la Villa Simone, explique l’objet de cette association : « Nous créons notre réseau et travaillons en équipe. Nous voulons valoriser le rôle des femmes entrepreneures dans la filière. » Cette année, elles mettent l’accent sur les réseaux sociaux. L’une après l’autre, elles s’affichent dans leur domaine ou dans un lieu lié au vin, pour montrer leur vision du vin. « Les femmes prennent le pouvoir en Italie, affirme l’une d’elles. On parle de #WomenEmpowerment, c’est-à-dire de la capacité des femmes à obtenir l’égalité avec les hommes. Le sujet peut déranger, d’autant plus dans notre filière qui reste un monde d’hommes. »