our Benjamin Garnier, responsable des approvisionnements chez Fortet-Dufaud, une chose est claire : « l’année dernière, les vignerons girondins qui ont intégré en encadrement de la fleur un fosétyl + folpel, une association classée CMR2, ont sauvé leur récolte ». Des propos qui concordent avec les résultats d’une étude menée conjointement par l’IFV et la chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine.
Séverine Dupin, responsable recherche et développement à la chambre d’agriculture et coordinatrice de l’étude, explique. « En 2023, nous avons récolté et analysé les programmes de traitement de 488 domaines en Gironde et en Dordogne. Lors de ce travail, nous avons corrélé perte de récolte, type de produit appliqué et pluviométrie à des moments décisifs de la saison. »
L’étude révèle que « les pertes de récolte sont inversement proportionnelles au nombre de produits CMR appliqués : avec six CMR appliqués au cours de la campagne, on observe 7 % de pertes, contre 32 % de pertes pour les vignerons qui n’ont appliqué qu’un seul CMR. »
Cette observation remet-elle en cause l’objectif louable d’écarter les CMR ? « Tout dépendra de la pression fongique cette année, répond Thierry Massol, conseiller à la chambre d’agriculture du Tarn. Les alternatives sans CMR, à base de fosétyl ou de cyazofamide, conviennent à des pressions moyennes. En cas des fortes pressions, avec des objectifs de rendements viables, elles ne sont pas suffisantes. Il faut utiliser des produits avec du folpel, du fluopicolide ou encore du dithianon, avant ou pendant la fleur. »
Même discours du côté du distributeur Fortet-Dufaud. « En Gironde, il faut faire une récolte cette année, avance Benjamin Garnier. Pour le moment les vignerons privilégient les programmes sans CMR, mais ils se laissent la possibilité d’utiliser des produits classés, ce que font d’entrée de jeu les vignerons charentais qui appliquent du Profiler en début de campagne, du Zorvek associé à du folpel (Zorvek Zelavin Bria) en encadrement de la fleur et du Mikal au mois de juillet, au besoin. Le folpel est le meilleur produit de contact dont on dispose, et ça peut sauver une récolte. »
Pour Alexandre Davy, ingénieur à l’IFV, le folpel et le dithianon ont toute leur place dans les programmes de traitement, à plus d’un titre. « Ils garantissent un minimum d’efficacité, réduisent la pression de sélection de souches résistantes aux fongicides unisites auxquels ils sont associés, et assurent une bonne protection anti-black-rot. Avec le retrait du mancozèbe et du métirame, il ne reste plus que le cuivre, limité à 4 kg/ha par an, le folpel et le dithianon pour contenir la progression des souches résistantes aux fongicides unisites. »
En Provence, Thierry Favier, expert technique du groupe CAPL, sent bien que les stratégies de traitement sans CMR sont à bout de souffle. « Au-delà de la toxicologie, ce qui inquiète le plus les vignerons, ce sont les ZNT eaux. Alors même s’il est classé CMR2, le folpel a encore le vent en poupe. Sa ZNT eau n’est que de 5 m et il peut être appliqué deux fois avant la fleur. Il existe certes d’autres antimildiou non CMR et qui ont une ZNT à 5 mètres, comme le Mildicut, mais il coûte plus cher et est limité à une seule application. »
Selon l’expert, si les vignerons se détournent de la stratégie sans CMR, c’est aussi parce que la pharmacopée se restreint. « Les spécialités à base de fluopicolide (Profiler, Tebaide, Hudson) sont désormais classées CMR et le métirame a disparu du marché, constate-t-il. Les vignerons n’ont donc pas d’autres choix que de revoir leur programme de traitement. »
Dans le Languedoc-Roussillon, où le climat est moins favorable au mildiou, Charles Crosnier, responsable technique chez PCEB, à Carcassonne, constate que l’emploi de folpel est en chute libre. « Pour cette campagne, les vignerons continuent de privilégier les programmes sans CMR, avec, dès les premières feuilles étalées, des associations phosphonates + cuivre ou fosétyl + cuivre, puis Ampexio, Bandido ou Mildicut en encadrement de la fleur », détaille-t-il. Mais selon lui, ce qui inquiète les vignerons, ce n’est pas tant le mildiou que le black-rot.
« Avec la disparition du métirame, ceux qui refusent les CMR vont devoir, pour lutter contre le black-rot, se tourner vers des molécules de la famille des SDHI ou des strobilurines. » Ce qui n’est pas non plus sans problème. En effet, les SDHI ne doivent pas être employés plus de deux fois durant une campagne, et les strobilurines sont déconseillées contre l’oïdium tant sont nombreuses les souches résistantes à cette famille de matières actives. Ceux qui voudraient employer des strobilurines contre le black-rot devraient donc utiliser d’autres fongicides contre l’oïdium. D’où une hausse des coûts.
A la Cave de Cabrières-d’Aigues, dans le sud du Lubéron, la forte pression de mildiou de 2023, la disparition du métirame et le classement en CMR de Profiler ont conduit à une révision difficile. « Cela faisait huit ans que nous avions banni les CMR de nos programmes de traitement, affirme Frédéric Gouirand, président de la coopérative. Mais ce n’est plus possible, il y a trop de contraintes. La liste des produits sans CMR s’amenuise année après année, il n’en reste pas assez pour pouvoir les alterner et éviter l’apparition de résistances du mildiou. Nous continuons d’appliquer le référentiel HVE, mais nous n’avons plus l’interdiction d’utiliser des CMR. » Pour cette année, Frédéric Gouirand prévoit d’appliquer des fongicides avec du folpel en encadrement de la fleur sur son exploitation, pour lutter contre le mildiou mais aussi faire face aux attaques de botrytis pédonculaire sur les grenaches. « Cela va me faire perdre des points pour la certification HVE, avoue-t-il. Mais je n’ai pas d’autres choix. Je vais tâcher de compenser en plantant des haies ou en souscrivant à un outil d’aide à la décision. »
L’enquête de l’IFV et de la chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine révèle aussi une corrélation entre le mode d’action des produits employés et une perte de rendement. « Les vignerons qui ont appliqué des programmes uniquement à base de produits de contact ont bien plus de perte de récolte que ceux qui ont intégré dans leur programme au moins un systémique ou un pénétrant, indique Marc Raynal, ingénieur à l’IFV. Un résultat sans surprise, d’après cet expert. « La performance moindre des produits de contact s’explique par leur persistance d’action plus courte, le fait qu’ils ne protègent pas les organes formés après le traitement, et qu’ils sont lessivés dès 25 mm de pluie. »