l n’y pas qu’en Europe où l’on parle d’arrachages. Il y a quatre ans déjà, Jeff Bitter, président de l’association Allied Grape Growers, qui représente quelque 500 viticulteurs californiens, exhortait les producteurs à arracher environ 12 000 hectares pour tenter d’équilibrer le marché ; seuls 7 000 ha l’ont été. Désormais, ce sont 20 000 hectares qu’il faudrait arracher, estime le représentant professionnel, se basant sur le rythme des nouvelles plantations, ainsi que sur la baisse de la demande aux Etats-Unis. En effet, 8 000 ha ont été plantés il y a trois ans et entreront en production cette année dans le principal Etat américain producteur de vins. Qui plus est, sur ces nouvelles superficies, les deux tiers sont des cépages rouges, pour lesquels la demande est en régression au niveau mondial.
Et pourtant, il y a des signaux d’alarme : une part non négligeable des raisins cultivés en 2023 n’ont pas été récoltés faute de demande, et les stocks s’accumulent, leur coût augmentant avec la hausse des taux d’intérêt. « Personne ne gagne de l’argent en gardant des stocks sur les bras », martelait Jeff Bitter lors du cycle de conférences « Unified Wine & Grape Symposium » fin janvier à Sacramento. En guise de rappel à la réalité, il a détaillé par zone de production et par cépage, les superficies à arracher. Les deux principales zones – la Vallée Centrale au nord et au sud de Lodi – sont celles où sont cultivés des raisins destinés aux vins commercialisés à moins de 6$ et jusqu’à 11$. Dans les deux cas, le représentant professionnel estime qu’il faut arracher 6 000 ha. Idem pour les régions côtières, à l’exclusion de Napa et Sonoma. Seuls ces deux derniers vignobles s’avèrent relativement équilibrés, même si de vieux ceps et des cépages rouges devraient être arrachés (2 000 ha), mais l’équilibre provient surtout du manque de terrain disponible à la plantation, et de son coût.
Cette situation est d’autant plus alarmante que la Californie a connu de faibles récoltes ces trois dernières années, en raison de la sécheresse, des feux de forêt et des maladies. En 2023, alors que les rendements étaient élevés (17 tonnes à l’hectare en moyenne), le taux de rejet pour cause de maladie et de manque d’acheteurs aura sans doute limité les volumes produits (3,7 millions de tonnes, soit +8% par rapport à 2022, selon le ministère californien de l’Agriculture ce 9 février). « La situation actuelle n’est pas à l’équilibre malgré trois faibles récoltes, ce qui est plutôt effarant », a reconnu Jeff Bitter. « J’aimerais bien pouvoir renvoyer un message plus positif, dire que la filière est florissante, mais à l’heure actuelle nous avons des défis devant nous ». Et de citer notamment le mouvement anti-alcool qui s’accélère aux Etats-Unis, de même que la concurrence exercée par d’autres boissons. « Cela fait belle lurette que les analystes sectoriels nous informent de l’évolution des préférences des consommateurs et des tendances. Il semblerait que nous n’ayons pas fait grand-chose pour aborder ces problèmes de manière proactive et désormais nous commençons à en sentir les effets négatifs ».
Certes, tous les cépages et les zones ne sont pas touchés de la même manière. Globalement, les blancs tirent mieux leur épingle du jeu que les rouges, et les segments premium sont plus épargnés que les entrées de gamme. Mais dans les mois à venir, d’autres facteurs entreront en jeu, notamment le taux de renouvellement des contrats pluriannuels qui lient les viticulteurs aux caves. « Certains contrats sont arrivés à échéance après la récolte 2023, ce qui signifie que davantage de raisins seront disponibles sur le marché spot, et c’est là qu’on voit l’impact des excédents », met en garde Jeff Bitter.