atant de 1966, la fameuse phrase de Georges Pompidou à un conseiller de Matignon lui demandant de signer une série de décrets n’a pas pris une ride : « arrêtez d'emmerder les Français ! Il y a trop de lois dans ce pays, on en crève, laissez-les vivre, et vous verrez ça ira beaucoup mieux. » Une approche d’allégement que poursuit la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC), qui vient de finaliser une plateforme de propositions de simplification administrative répondant au « mois de la simplification » lancé par le premier ministre, Gabriel Attal, d’ici le salon de l’Agriculture (ouvrant ce samedi 24 février). Pouvant changer la vie des vignerons, les deux principales propositions de la CNAOC visent à la « création d’un guichet unique dématérialisé avec un seul interlocuteur, un seul identifiant pour les vignerons » et « l’instauration d’un droit à l’erreur administrative comme pour le reste de la population » indique Jérôme Bauer, le président de la CNAOC.
Ayant déjà connu des annonces de choc de simplification, en 2016 notamment, Thiébault Huber, le président de la Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne (CAVB), ne se fait pas d’illusion et note qu’il n’est ressorti qu’un allégement administratif des multiples réunions et propositions de l’époque : la simplification du parcours d’arrachage et de replantation. Seule la déclaration de fin des travaux d’arrachage étant désormais obligatoire, la déclaration d’intention ne l’étant plus. « Mais pour arracher, il faut contacter deux services : les Douanes et FranceAgriMer » soupire Thiébault Huber, qui en appelle « guichet unique : simple et rassurant pour ne plus être dans la crainte de l’erreur. » Le millefeuille administratif n’aidant pas, comme pour le classement des parcelles pour replantation esquisse le vigneron de Meursault : « Zone Natura 2000, zone calcaire, zone faune, zone classée… ça devient ingérable ! »


Pour la simplification administrative millésime 2024, la CNAOC porte « des propositions concrètes et simples » indique Thiébault Huber, qui prend l’exemple de la Déclaration Annuelle d’Inventaire (DAI), de la Déclaration Récapitulative Mensuelle (DRM) et de la Déclaration de Stock : « pourquoi trois documents pour faire la même chose ? Pourquoi ne pas les réunir ? » Partagée, la question est posée. Et élargie : « prenez la DRM, on y trouve quatre numéros d’identification de l’entreprise : SIRET, Casier Viticole Informatisé (CVI) numéro d’accises et numéro de Personne Physique ou Morale (PPM). Le SIRET serait suffisant ! On a toute la charge. On simplifie toujours du côté administratif, jamais du notre » regrette Thiébaut Huber.
Sentiment partagé par Joël Forgeau, président délégué de l’interprofession des vins du val de Loire (Interloire), qui est interpelé par « le nombre de numéros que l’on a pour exercer et remplir des dossiers : PAC, CVI, Siret, accises… Une dizaine en tout, alors qu’un seul est indispensable : le numéro de téléphone pour que le client nous joigne. » Si « quand l’état parle de simplification, on se méfie toujours, comme l’administration cherche à se simplifier la vie, pas celle des vignerons », le vigneron du Muscadet se veut optimiste : « dans ce moment de grogne agricole, charge à nous d’avoir des propositions pour avancer. La CNAOC travaille ces sujets depuis des années : c’est un grand cheval de bataille. Avec notre plateforme, on n’a jamais fait autant de propositions aussi clairement énoncées. » Un optimisme alimenté par un cas concret : la fusion de la déclaration de récolte et de la revendication de récolte, annoncée fin janvier pour le val de Loire.


« Une seule saisie sur la plateforme d’Interloire va permettre de réaliser automatiquement deux déclarations grâce à une convention avec Prodouanes. Il n’y aura plus besoin d’y aller pour saisir une deuxième fois manuellement les informations » salue Joël Forgeau, qui souhaite aux autres vignobles de signer de telles conventions permettant d’avancer vers un guichet unique pour les Attestation Réglementaire d’Origine Communautaire (AROC). Le vigneron ligérien espère d’autres avancées, comme la disparition du cadastre de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), redondant avec le CVI, mais pas avec celui de FranceAgriMer étant en revanche différent, comme il retire les tournières de la surface pour les aides européennes (PAC).
Avec l’application du droit à l’erreur, Joël Forgeau espère une mise à jour de la philosophie de contrôle des agents administratifs : « on nous dit toujours que les contrôles sont là pour accompagner les opérateurs. Mais ce n’est pas comme ça que les vignerons le vivent. Quand on reçoit en pleine campagne un document de la PAC nous informant d’une erreur de déclaration de surfaces, avec 10 jours pour répondre à l’administration et expliquer l’erreur, on est tenté de lâcher l’affaire plutôt que d’essayer de se justifier… »
Grâce à la grogne agricole, « aujourd’hui, une fenêtre de tir est ouverte, nous devons la saisir » renchérit Jean-Philippe Mari, le président du syndicat de l’AOC Côtes du Roussillon et de la Fédération Sud des AOC, qui est intéressé par la promesse du premier ministre d’un seul contrôle administratif par an et par exploitation. Ayant à titre personnel reçu 4 contrôleurs différents en un an, Jean-Philippe Mari peut témoigner du poids de ces procédures redondantes, tout en rappelant un principe : « nous ne sommes pas opposés aux contrôles. Ce qui nous gêne c’est la méthode : aller chercher la petite bête pour mettre à l’amende. On demande plus de pédagogie et d’accompagnement. »
Au final, pour simplifier « il faut faciliter, dématérialiser et harmoniser les dispositifs pour les exploitants qui croulent sous la paperasse, les normes et pour beaucoup les factures sans pouvoir transmettre au bout du compte leur outil de travail à leurs enfants » résume Jérôme Bauer, qui porte inlassablement des demandes d’aides à la transmission. Dont « une mesure centrale que nous demandons depuis longtemps : un déplafonnement total des droits de mutation, en somme un alignement avec le pacte Dutreil » souligne le vigneron alsacien, qui porte globalement porte la défense du métier de vigneron parmi les quatre priorités de sa présidence renouvelée : « cela induit des chantiers prioritaires comme la simplification, la transmission et d’ici quelques mois des propositions pour faciliter le recrutement de main d’œuvre ».