u Vernois, dans le Jura, Christophe Grandvaux pratique le recépage progressif depuis 2013 sur deux parcelles, une de savagnin, un cépage très sensible à l’esca, et l’autre de chardonnay. « Mon objectif est de rajeunir les ceps préventivement sans attendre qu’ils aient des symptômes, afin de retarder et de freiner l’apparition de la maladie », explique ce coopérateur installé sur 6 ha.
À l’ébourgeonnage, il repère les ceps avec des gourmands au pied. S’il en trouve un orienté dans l’axe du rang, il le sauvegarde en le fixant au tronc. L’hiver suivant, il l’attache au fil porteur et ébourgeonne le bas, si nécessaire. Puis le deuxième hiver, il forme une ou deux arcures suivant la vigueur du rejet et laisse seulement un courson sur le vieux tronc afin d’amener la sève en priorité dans le nouveau. Un an ou deux plus tard, il coupe l’ancien tronc.
« En procédant ainsi par étapes, il n’y a pas de perte de rendement », observe Christophe Grandvaux. Le taux de réussite atteint 90 %. « Il arrive que des gourmands ne poussent pas comme prévu ou qu’ils soient accrochés par les interceps, mais sinon cela fonctionne bien », précise-t-il.
Le chardonnay émet moins de rejets que le savagnin. Le vigneron en trouve malgré tout. « Quand le rameau est un peu court, je le rabats la première année pour obtenir un bois plus long l’année suivante », indique-t-il.
En recépant de nouveaux pieds chaque année, Christophe Grandvaux a déjà rajeuni un tiers des ceps dans ces deux parcelles. « J’y observe beaucoup moins de symptômes d’esca que dans d’autres où je n’ai pas encore recépé », note-t-il.
La technique demande un peu de temps à l’ébourgeonnage et à la taille : « Le plus long reste de couper les vieux troncs. Je le fais durant la taille avec une petite scie à main, plus facile à transporter qu’une tronçonneuse. »
Cette méthode préserve le rendement mais aussi le profil des vins car le renouvellement des ceps reste progressif, contrairement à une replantation. Chez Christophe Grandvaux, elle s’ajoute au recépage palliatif et à la complantation, que le vigneron pratique lorsque la maladie s’exprime. « Pour le recépage palliatif, je coupe le tronc en espérant qu’un gourmand repartira. Mais le résultat est très aléatoire, contrairement au recépage préventif que j’ai commencé à étendre à d’autres parcelles de savagnin, chardonnay et poulsard, en me concentrant sur celles que j’ébourgeonne moi-même car il est difficile de déléguer le choix du gourmand à des prestataires. »
Toujours dans le Jura, à Montigny-lès-Arsures, Stéphane Tissot teste le recépage progressif depuis trois ans. « Mon objectif est d’agir préventivement afin de limiter le nombre de manquants à remplacer, qui explose dans les vignes âgées de 15 à 25 ans », observe ce vigneron à la tête d’un domaine de 50 ha en bio.
Stéphane Tissot a commencé dans une parcelle de trousseau, très sensible à l’esca. Il attend de voir les résultats avant d’attaquer d’autres parcelles. « Aujourd’hui, la moitié des ceps sont en cours de recépage à différents stades. Sur les premiers recépés, j’ai coupé les anciens troncs cet hiver avec une petite tronçonneuse. Il ne faut pas se précipiter. Le diamètre du nouveau tronc doit arriver au moins à la moitié de celui de l’ancien afin qu’il ait suffisamment de vigueur pour prendre le relais sans perte de rendement », précise le vigneron.
À l’ébourgeonnage, il choisit un gourmand et l’attache à un tuteur posé exprès afin de le protéger des interceps. Il a ensuite, sur ces ceps, deux troncs à tailler au lieu d’un. « Cela rallonge un peu le travail, mais cela reste plus rapide que la complantation. Et il n’y a pas de perte de rendement. »
À Ingersheim, dans le Haut-Rhin, Vincent Fleith pratique lui aussi le recépage préventif, en complément de la complantation et du recépage palliatif. « J’ai commencé dans une parcelle de riesling il y a dix ans », relate ce vigneron installé sur 10,5 ha en biodynamie.
Au cours de l’épamprage, il sélectionne les gourmands bien placés. L’hiver suivant, il les fixe au fil porteur et ébourgeonne le bas pour ne garder que trois yeux. Puis, l’année d’après, il les forme en taille guyot-poussard avant de couper l’ancien tronc dans les deux ans qui suivent. « Souvent, les nouveaux sarments portent des grappes dès la première année. Et au bout de deux ans, le nouveau tronc porte quasiment une demi-récolte », assure-t-il.
Vincent Fleith emploie cette technique avant tout sur le riesling, très sensible à l’esca, qui couvre un tiers de sa surface. « Ce cépage émet peu de gourmands, mais j’en trouve malgré tout. En associant recépage préventif et taille poussard, j’observe une baisse conséquente des symptômes d’esca, ce qui me permet de conserver de vieilles parcelles qualitatives », apprécie-t-il. Dans le même but, il recèpe également quelques parcelles de gewurztraminer et d’auxerrois afin de rajeunir des pieds tout en améliorant la circulation de la sève. Les autres parcelles, elles, n’en ont pas besoin.
Le recépage préventif est une méthode ancestrale que François Dal, du Sicavac à Sancerre, a remise en avant. « C’est lui qui me l’a transmise », note Gaël Delorme, de la Société de Viticulture du Jura. Dans ce département ainsi qu’en Alsace, quelques vignerons se sont lancés. « Beaucoup hésitent à intervenir sur des ceps sains, car ils ignorent alors comment les symptômes vont évoluer dans la parcelle. Mais ce recépage préventif évite justement d’arriver au moment où ceux-ci explosent. Et le taux de réussite est bien meilleur que sur des ceps déjà malades. C’est une méthode adaptée aux parcelles dont les ceps émettent des pampres, ce qui dépend du cépage, de la vigueur et des pratiques. L’épamprage chimique, par exemple, réduit le nombre d’yeux latents. Après l’avoir pratiqué durant plusieurs années, les vignes émettent moins de pampres, ce qui réduit les possibilités de recépage », explique Gaël Delorme.